La dernière mission de l’ONU en Haïti reconduit des schémas d’échec déjà éprouvés, tout en exposant un angle mort préoccupant
- Renouvo Demokratik
- 7 oct.
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Par : James Bosworth*
Article de World Politics Review.
6 octobre 2025 .-
La semaine dernière, après de vifs débats, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 2793, entérinant le changement d’acronyme de sa mission en Haïti. La nouvelle Force de répression des gangs (FSG) remplacera la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMSS), jusque-là dirigée par le Kenya. Reste à savoir si cette reconfiguration dépasse le simple changement de nom et augure d’une intervention réellement plus efficace.
Les enjeux sont considérables. Le gouvernement haïtien a perdu le contrôle de vastes portions du territoire, dont près de 90 % de la région métropolitaine. La crédibilité de l'ONU est également en jeu. Si la mission ne réussit pas, cela pourrait renforcer le discours des sceptiques selon lequel ce type d'opérations multilatérales est inefficace en Haïti. Pourtant, certains signaux laissent entrevoir que le Conseil de sécurité est déjà en train de condamner la nouvelle GSF à l’échec, comme il l’avait fait pour sa prédécesseure.
La mission actuelle, la MSS, est trop réduite, sous-financée, et dépourvue de tout pouvoir d’arrestation. Il n’est donc guère surprenant qu’elle ait non seulement échoué à contenir la violence, mais aussi facilité la prise de contrôle du pays par les gangs. Il ne s’agit pas ici de blâmer la police kenyane ni les autres contingents engagés dans cette force.
Comme indiqué, la MSS était vouée à l’échec. Elle n’a jamais reçu ni le personnel ni le budget nécessaires pour affronter les gangs. Contrairement à la MINUSTAH, mission de maintien de la paix dirigée par le Brésil entre 2004 et 2017, la MSS n’a jamais obtenu ce statut. Elle devait compter 2 500 agents, mais faute de financement, elle n’en mobilise qu’environ 1 000, bien loin des plus de 10 000 hommes déployés à l’époque par la MINUSTAH. Enfin, la MSS n’a jamais bénéficié d’un mandat clair, même lorsqu’elle opérait aux côtés d’un partenaire, le gouvernement intérimaire non élu d’Haïti, dont la légitimité reste profondément contestée.
Bien que nombre de ces problèmes persistent, la résolution autorisant la GSF en corrige partiellement trois. La nouvelle mission prévoit le déploiement de 5 500 militaires et policiers, une force certes inférieure à celle de la MINUSTAH mais nettement plus importante que les effectifs actuels. Le personnel placé sous l’égide de la GSF serait habilité à interpeller et arrêter des membres de gangs, une capacité dont la MSS était dépourvue. Il serait également mandaté pour cibler activement les gangs et leurs dirigeants, ce qui conférerait à la GSF une mission plus claire que celle de sa devancière.
Cependant, certaines des principales faiblesses initiales du MSS demeurent.
Tout d’abord, nul ne sait qui fournira le personnel et les fonds nécessaires à la nouvelle mission. Le Conseil de sécurité a certes autorisé le déploiement de 5 500 officiers en Haïti, mais ni l’ONU ni aucun État n’est tenu d’en assurer la mise en œuvre ni le financement. Les États-Unis, co-parrains de la résolution 2793 avec le Panama, affirment que les ressources seront mobilisées via un mécanisme piloté par l’Organisation des États américains. Or, il y a quelques mois à peine, l’administration du président Donald Trump envisageait de couper tout financement américain à l’OEA. Si elle finance aujourd’hui une petite armada de navires dans les Caraïbes pour intercepter les embarcations qu’elle accuse de transporter de la drogue depuis le Venezuela, elle a réduit la plupart des autres dépenses publiques qui soutiendraient la démocratie, le développement et la sécurité en Haïti. Sans voie claire vers un financement durable, et face aux doutes persistants sur l’engagement réel des États-Unis, la mission risque fort de s’enliser dans une impasse.
Le fait que la plus grande source de puissance de feu ciblant actuellement les gangs haïtiens provient des mercenaires n'est pas mentionné dans le débat à l'ONU.
Le financement n’est pas le seul domaine où les contradictions américaines en matière de politique haïtienne sèment la confusion et entravent la mise en œuvre de la GSF. Dans le cadre de la guerre commerciale menée par l’administration Trump, des droits de douane élevés ont été imposés à Haïti. Le mois dernier, les États-Unis ont également laissé expirer leur politique spéciale d’importation sans droits de douane sur les textiles haïtiens. Ce secteur emploie plus de 20 000 personnes, et la fin de cette exemption, combinée à la hausse des tarifs, menace des milliers d’emplois dans une économie déjà exsangue.
Aux politiques économiques s’ajoutent les politiques migratoires de l’administration Trump. En juin, le Département de la Sécurité intérieure a déclaré que la situation en Haïti s’était suffisamment améliorée pour mettre fin au programme de Statut de protection temporaire (TPS) accordé aux citoyens haïtiens présents aux États-Unis, tout en annonçant son intention d’augmenter les expulsions vers Haïti. Près de 500 000 migrants haïtiens dépendent du TPS pour leur statut légal. Que cette même administration appelle à une action multilatérale contre les gangs via l’ONU, tout en affirmant que le pays est assez stable pour y renvoyer des centaines de milliers de réfugiés, relève d’une contradiction politique flagrante.
La résolution 2793 a été adoptée par 12 voix pour, sans opposition formelle. La Chine, la Russie et le Pakistan se sont abstenus. Les deux premiers avaient pourtant exprimé leur désaccord, mais ont choisi de ne pas exercer leur droit de veto. Tous trois ont laissé passer la résolution, invoquant le souhait souverain du gouvernement intérimaire d’Haïti de bénéficier du soutien de l’ONU.
Il existe des raisons de penser que l’opposition de la Chine et de la Russie à une force de sécurité multilatérale en Haïti repose sur des considérations peu judicieuses. Pékin reste irrité par la reconnaissance persistante de Taïwan par Haïti, tandis que Moscou voit dans l’instabilité régionale une opportunité de détourner l’attention américaine de la guerre qu’elle mène en Ukraine. Cela dit, la rhétorique adoptée par ces deux puissances dans leurs critiques de la résolution onusienne mérite d’être examinée de près.
Les deux pays ont souligné que les précédentes missions de l’ONU, y compris celles antérieures à la MINUSTAH, n’ont pas permis d’améliorer durablement la situation en Haïti, et que l’Organisation n’a jamais eu à répondre de ces échecs. La Russie a également critiqué l’absence de restrictions dans le mandat de la nouvelle mission pour cibler les gangs, ainsi que le manque de contrôle et de responsabilité dans l’usage de la force pour procéder à des arrestations. Cette critique peut sembler hypocrite au regard de la conduite de Moscou en Ukraine, mais elle n’est pas infondée. Aucune limite claire ne semble encadrer la capacité des GSF à cibler les gangs haïtiens
D’un côté, la police haïtienne manque cruellement de moyens humains et financiers pour affronter les dizaines de milliers de membres de gangs qui sévissent dans le pays. Mais si ces ressources venaient à se concrétiser, Haïti pourrait se heurter à un problème inverse : celui d’une force extérieure dotée d’une autorité limitée, opérant dans un contexte où le gouvernement non élu peine à fonctionner.
Ce que les débats diplomatiques à New York omettent de mentionner, c’est que la principale puissance de feu actuellement dirigée contre les gangs haïtiens provient de mercenaires. Si le gouvernement haïtien tient encore debout, c’est en grande partie grâce aux contrats passés avec Vectus Global, entreprise fondée par Erik Prince, et d’autres sociétés privées engagées dans des opérations de sécurité. Ces derniers mois, ces groupes ont utilisé des drones pour cibler les chefs de gangs, notamment lors d’une attaque récente qui a coûté la vie à 13 civils, dont huit enfants. Dans une proposition récente, Prince a suggéré de maintenir le personnel de Vectus en Haïti pendant dix ans, avec pour mission de combattre les gangs et de collecter les recettes fiscales destinées à financer l’opération.
Le nouveau GSF sera presque certainement amené à collaborer avec des entreprises de sécurité privées, voire à les intégrer directement. Pourtant, le financement de leurs contrats risque d’épuiser les ressources d’un gouvernement déjà en décomposition. Le débat autour de l’autorisation onusienne du GSF a totalement éludé cette question, alors même que de nombreux observateurs estiment que les mercenaires et leurs drones pourraient dominer la réalité opérationnelle sur le terrain dès l’année prochaine.
En autorisant une mission qui ne répond ni aux besoins en personnel, ni au budget requis, ni à un mandat opérationnel clair, le Conseil de sécurité de l’ONU donne une fois de plus l’impression d’agir en décalage avec les réalités haïtiennes.
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*James Bosworth est le fondateur de Hxagon, un cabinet spécialisé dans l’analyse des risques politiques et la recherche sur mesure dans les marchés émergents et frontaliers. Fort de vingt ans d’expérience, il est reconnu pour son expertise en matière d’analyse politique, économique et sécuritaire en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Cet article, publié à l’origine en anglais dans World Politics Review, a été traduit en français par NOVAVOX pour en faciliter l’accès aux lecteurs francophones intéressés par les enjeux de la mission onusienne en Haïti.












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