Viv Ansanm : la paix comme mise en scène, l’impunité comme projet
- Renouvo Demokratik
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Dernière mise à jour : il y a 2 jours
Notre Éditorial
Par : Alain Zéphyr, Sociologue .

La semaine dernière, le porte-parole de Viv Ansanm a livré une déclaration à la fois spectaculaire et cynique : au nom de la paix, il a enjoint les déplacés de regagner les quartiers qu’ils ont fui sous les balles. Une injonction glaçante, qui en dit long sur le théâtre politique en cours. Le timing, quant à lui, ne trompe personne.
À peine l’inculpation de Barbecue par un tribunal fédéral américain rendue publique, le chef de guerre s’est empressé de répondre dans une vidéo où il se dit prêt à “collaborer”. Quelques jours plus tard, il annonce que Viv Ansanm envisage de retirer les hommes en armes de certains quartiers de Port-au-Prince, afin de permettre aux victimes de rentrer chez elles. Le message est clair et l’enchaînement des gestes trop bien chorégraphié pour être fortuit.
On n’a pas besoin d’être un stratège aguerri pour relier les points. L’internationale, avec Washington en chef d’orchestre, cherche à sauver une transition en décomposition — une transition dont le pilier serait l’organisation d’élections creuses, vidées de substance, mais pleines d’utilité symbolique. Des élections qui offriraient aux gangs une légitimité politique sous couvert de démocratie.
Dans ce ballet diplomatique, l’offre de Barbecue n’est pas une main tendue : c’est une pièce maîtresse dans une stratégie de blanchiment. En facilitant le retour des victimes, il offre à la communauté internationale une image de trêve, une illusion de stabilité, une scène propice à l’émergence d’un candidat gangréné par ses accointances avec les milices.
Ce n’est pas la paix qu’on nous propose, mais sa caricature. Une paix scénarisée, instrumentalisée, et mise en scène pour permettre à l’indicible de devenir gouvernable. Une paix qui ne répare rien, ne reconnaît rien, mais qui sert — avec une exactitude troublante— les intérêts d’une transition construite sur le déni, la peur, et l’impunité.
Haïti ne veut plus de bourreaux recyclés
Alors que les images des exactions et de la brutalité orchestrées par Viv Ansanm saturent les réseaux sociaux — filmées par quelques victimes retournées dans les quartiers de Solino, Nazon et Delmas 30, caméra tremblante à la main, pour documenter les maisons pillées et éventrées, les rues calcinées, les cris incrustés dans les murs — le même Viv Ansanm déploie son étendard de paix comme un rideau tiré sur les décombres.
Son appel s’impose comme une séquence politique minutieusement orchestrée. Derrière les mots doux, les visuels pastel et les slogans fédérateurs, se déploie une mécanique de neutralisation. Neutralisation des colères. Des mémoires. Des revendications. Une paix sans justice, sans vérité, sans réparation.
Viv Ansanm ne propose pas une paix active — fondée sur la reconnaissance des torts et la réparation des blessures. Il propose une paix décorative. Une paix de façade. Une paix qui exige le silence des victimes au nom du confort des institutions. Une paix qui pacifie les apparences pour mieux pérenniser les injustices.
Viv Ansanm ne parle pas des disparus. Ne nomme pas les responsables. Ne pleure pas les enfants fauchés par l’impunité. Son message est un chant sans mémoire. Une liturgie sans deuil. Il invite à tourner la page avant même de l’avoir lue. À se tenir ensemble, oui — mais autour d’un vide soigneusement entretenu.
Ce n’est pas un projet d'avenir . C’est une opération de recouvrement symbolique, où les crimes ne sont ni nommés ni reconnus, mais simplement enfouis sous le vernis du consensus. Une tentative de reconduire l’ordre sans justice, de neutraliser les mémoires pour mieux recycler les bourreaux.
Face à cette manœuvre, il faut opposer une paix exigeante. Une paix qui ne se contente pas de rassembler, mais qui répare. Une paix qui ne maquille pas l’impunité, mais la combat. Une paix qui ne réclame pas le silence, mais l’écoute. Car sans justice, la paix n’est qu’un décor. Viv Ansanm, derrière ses appels à l’unité, construit ce décor comme on érige un alibi.
Mais la paix ne se décrète pas. Elle se construit. Et elle commence là où Viv Ansanm s’arrête : Dans la reconnaissance des blessures. Dans la dénonciation des crimes. Dans l’exigence de réparation. Tout le reste n’est que mise en scène.
Même scénario, mêmes crimes : le peuple exige justice
Ce que Barbecue met en œuvre, nous le reconnaissons sans effort. Ce scénario n’a rien de nouveau. C’est le script d’un État sans justice, cousu dans nos cicatrices. Le manuel des escadrons de la mort et du FRAPH, réédité pour l’époque : violence paramilitaire, verrouillage des territoires, rhétorique de paix sans réparation. Bref, une mécanique connue, un schéma déjà éprouvé, recyclé pour blanchir les bourreaux et reconduire l’impunité, sous couvert de stabilité.
Mais cette fois, le peuple haïtien ne regarde plus la scène en spectateur. Il reprend le fil de sa résistance.
Il ne demande pas des promesses. Il réclame des comptes.
Il ne veut plus de paix sans justice, ni de réconciliation sans vérité.
Il exige la fin du théâtre.
Il exige que les armes tombent, que les masques brûlent, que les bourreaux soient nommés et jugés.
Le peuple est éveillé et veut des tribunaux, pas des tables rondes.
Des archives ouvertes, pas des amnisties déguisées.
Des voix libres, pas des pactes de silence.
Ce peuple, meurtri mais debout, ne réclame pas un nouveau costume pour les mêmes bourreaux. Il revendique une cassure avec le cycle de l’impunité. Une justice qui ne ploie pas sous les armes. Une société où les bourreaux ne deviennent ni ministres ni sauveurs, et où les victimes ne sont plus condamnées au silence.
Ce qui se joue ici dépasse de loin un simple changement de régime. C’est la chute d’un mensonge longtemps entretenu, et l’émergence d’une vérité qui ne s’excuse plus. Une vérité nue, irrévocable, qui ne réclame pas des ajustements cosmétiques, mais une refondation radicale. Et cette refondation ne sera ni négociée par les élites, ni rédigée dans les marges du pouvoir. Elle viendra de la rue, de la mémoire collective, et de la rage lucide d’un peuple que plus rien ne bâillonne.
