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Sortir du théâtre: l'heure de l'organisation populaire

  • Photo du rédacteur: Renouvo Demokratik
    Renouvo Demokratik
  • 7 sept.
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 sept.

Par Yves Pierre, Politologue.-

- PC:  Novavox-
- PC: Novavox-

Le rideau doit tomber. Le spectacle a assez duré.

Depuis trop longtemps, Haïti vit sous l'emprise d'un théâtre politique obscène où se succèdent les mêmes acteurs déguisés, reprenant les mêmes rôles dans une pièce écrite ailleurs, pour d'autres. Gangs qui se parent de vertus pacificatrices, gouvernements qui célèbrent leurs échecs, élites qui pleurent sur des ruines qu'elles ont elles-mêmes créées: le spectacle continue pendant que le peuple meurt dans les coulisses.

Face à cette mascarade, une seule force peut briser le cycle: le peuple conscient, organisé et mobilisé. Non pas le peuple-spectateur, manipulé et divisé, mais le peuple-acteur de son propre destin. C'est à cette organisation que nous invitons le camp progressiste, car l'heure n'est plus aux Illusions démocratiques, mais à la construction d'une alternative populaire authentique.

Le théâtre et ses complices

La fausse opposition gang-gouvernement

Le premier acte de cette tragédie consiste à faire croire que gangs et pouvoir politique s'opposent. Illusion savamment entretenue. Les gangs ne détruisent pas l'État: ils en constituent le bras armé officieux. Ils ne s'opposent pas au système: ils l'alimentent en créant le chaos nécessaire à sa perpétuation.

Quand “Viv Ansanm1” appelle au retour des déplacés, ce n'est pas pour réparer ses crimes, mais pour consolider son contrôle territorial. Quand le gouvernement déclare "l'école détruite" tout en célébrant le succès de l'enseignement privé, ce n'est pas par incompétence, mais par design2.

Ces deux forces prétendument antagonistes travaillent en réalité à la même œuvre : maintenir un peuple ignorant, divisé, terrorisé.

L'internationale et ses restavèk

Derrière cette comédie locale se cache un script international. Washington et ses alliés ne cherchent pas la stabilité d'Haïti, mais sa prévisibilité. Une Haïti contrôlée par des gangs "négociables" est préférable à une Haïti imprévisible parce que véritablement souveraine.

Les "transitions démocratiques" successives ne sont que des intermèdes entre deux actes de la même pièce. Chaque élection promet le changement pour mieux reconduire l'identique. Chaque "nouveau départ" recycle les mêmes élites, les mêmes méthodes, les mêmes résultats.

Cette mécanique ne peut être brisée de l'intérieur du système. Elle ne peut l'être que par une force extérieure à ce théâtre : le peuple organisé.

Pourquoi seul le peuple organisé peut agir

Au-delà de la protestation spontanée

La colère populaire existe. Elle s'exprime régulièrement dans les rues, face aux massacres, aux pénuries, à l'humiliation quotidienne. Mais la colère seule ne suffit pas. Elle peut même être récupérée, canalisée, instrumentalisée par les mêmes forces qu'elle prétend combattre.

L'indignation sans organisation devient rapidement impuissante. Elle permet aux élites de jouer la carte de la "compréhension" tout en poursuivant leurs manœuvres. Elle offre aux gangs l'occasion de se poser en "médiateurs" entre un peuple en colère et un pouvoir "sourd".

La force de l'organisation consciente

Le peuple organisé, lui, ne se contente pas de réagir: il propose. Il ne se limite pas à dénoncer: il construit. Il ne demande pas des promesses: il crée les conditions de leur réalisation.

Un peuple organisé possède plusieurs avantages décisifs:

  • L'autonomie stratégique: Capable de définir ses propres objectifs sans dépendre des agendas extérieurs

  • La durabilité de l'action: Résistant aux tentatives de division et de récupération

  • La légitimité populaire: Enraciné dans les communautés, il incarne une alternative crédible

  • La capacité de proposition: Porteur de projets concrets, il dépasse la simple contestation

L'histoire comme témoin

L'histoire d'Haïti le prouve: chaque fois que le peuple s'est organisé de manière autonome, il a bouleversé l'ordre établi. 1791, 1946, 1986... Les élites n'ont jamais abdiqué par bonté d'âme, mais sous la pression d'un peuple structuré autour d'un projet commun.

À chaque fois, la reconquête de la dignité est passée par l'organisation populaire. Jamais par les négociations de salon, les arrangements diplomatiques ou les "transitions" négociées.

Appel au camp progressiste: l'organisation comme impératif

Dépasser les divisions stériles

Le camp progressiste haïtien souffre d'une maladie chronique: la division. Divisions idéologiques, personnelles, tactiques... Pendant que les progressistes se querellent sur les détails, les forces rétrogrades s'organisent et avancent.

Il faut choisir: l'unité dans l'action ou la pureté dans l'impuissance.

Cela ne signifie pas renoncer aux débats, mais les subordonner à l'urgence de l'organisation. Les nuances idéologiques sont un luxe que seuls peuvent se permettre ceux qui ont déjà conquis un espace politique. Pour ceux qui luttent encore pour exister, l'unité tactique est une question de survie.

Construire des bases populaires solides

L'organisation ne se décrète pas d'en haut. Elle se construit par en bas, dans les quartiers, les écoles, les marchés, les associations. Le camp progressiste doit cesser de parler au peuple pour commencer à parler avec le peuple.

Cela implique:

  • Ancrage territorial: Présence permanente dans les communautés, au-delà des seules périodes électorales

  • Éducation politique: Formation des militants et des sympathisants sur les enjeux structurels

  • Action concrète: Réponses pratiques aux problèmes quotidiens, démonstration par l'exemple

  • Culture de l'organisation: Développement d'une discipline collective, d'une éthique de l'engagement

Construire une alternative crédible

Le peuple ne suivra le camp progressiste que s'il incarne une alternative crédible. Cela suppose de dépasser la simple dénonciation pour proposer un projet de société cohérent et réalisable.

Cette alternative doit être:

  • Économiquement viable: Proposer un modèle de développement autocentré, créateur d'emplois et réducteur d'inégalités

  • Politiquement démocratique: Garantir une participation réelle du peuple aux décisions qui le concernent

  • Culturellement enracinée: Valoriser l'identité haïtienne sans tomber dans le populisme démagogique

  • Écologiquement durable: Préserver l'environnement pour les générations futures

La méthode: Comment s'organiser?

Étape 1: Unification du camp progressiste

Créer un front large rassemblant toutes les forces progressistes autour d'un programme minimum. Ce front doit inclure partis politiques, syndicats, organisations populaires, intellectuels engagés,jeunes militants tant l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Objectif immédiat: Stopper la dispersion des énergies et créer une force politique visible et cohérente.

Étape 2: Enracinement populaire

Implantation systématique dans tous les secteurs de la société haïtienne. Chaque organisation membre du front doit se donner pour mission de créer des relais dans sa zone d'influence.

Méthode: Écoute des préoccupations populaires, réponses concrètes aux problèmes quotidiens, formation politique de proximité.

Étape 3: Construction programmatique

Élaboration participative d'un programme de gouvernement issu des consultations populaires.Ce programme doit répondre aux attentes immédiates tout en portant une vision de long terme.

Principe: Chaque proposition doit être comprise, acceptée et défendue par la base militante.

Étape 4: Action coordonnée

Mobilisation générale pour imposer ce programme à l'ordre du jour national. Combinaison entre action légale (manifestations, grèves, campagnes) et action constructive (projets pilotes,expérimentations locales).

But: Démontrer que l'alternative progressiste n'est pas seulement souhaitable, mais possible et efficace.

Obstacles et Défis

La répression

Le système ne laissera pas le peuple s'organiser sans réagir. La répression viendra, sous toutes ses formes: violence physique, intimidation économique, manipulation médiatique, infiltration.

Riposte nécessaire: Préparation politique et psychologique des militants, protection des leaders, solidarité internationale, dénonciation systématique des violations.

La récupération

Plus dangereuse encore que la répression frontale: la tentative de récupération de l'organisation populaire par les forces dominantes. Corruption des dirigeants, offres d'intégration au système, promesses de réformes superficielles.

Garde-fou indispensable: Démocratie interne rigoureuse, rotation des responsabilités, contrôle permanent de la base sur ses représentants.

Le découragement

La route sera longue et difficile. Face aux échecs temporaires, aux trahisons, aux reculs, la tentation sera grande d'abandonner ou de chercher des raccourcis.

Antidote: Mémoire historique, célébration des victoires partielles, maintien de la perspective de long terme, solidarité mutuelle.

L'urgence de l'organisation

Cette organisation ne naîtra pas spontanément. Elle doit être construite, patiemment, méthodiquement, avec la conviction que c'est le seul chemin vers une Haïti libérée de ses chaînes.

Le camp progressiste a une responsabilité historique: cesser de commenter le spectacle pour commencer à l'interrompre. Cesser d'attendre le miracle électoral pour construire la force populaire. Cesser de déplorer l'absence d'alternative pour devenir cette alternative.

L'heure n'est plus aux analyses, aussi brillantes soient-elles. L'heure n'est plus aux indignations,aussi légitimes soient-elles. L'heure est à l'organisation. Car un peuple organisé est un peuple quine subit plus: il agit. Un peuple organisé ne négocie plus sa dignité: il l'impose. Un peuple organisé ne demande plus la justice: il la construit.

Le rideau peut tomber. Le peuple peut monter sur scène. À condition qu'il s'en donne les moyens. Le camp progressiste haïtien est invité à faire de cette organisation sa priorité absolue. L'avenir du pays en dépend.


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1.Viv Ansanm (en Français « Vivre Ensemble ») est le nom d'une coalition de gangs formée en septembre 2023 sous l’initiative du pouvoir d’alors et du Bureau Intégré des Nations en Haiti (BINUH), unissant les deux principales factions criminelles de Port-au-Prince, le G-9 et le G-Pèp. Initialement présentée comme une initiative pour réduire les violences entre gangs et « protéger les civils », cette alliance a rapidement évolué en une force coordonnée visant à destabiliser l'État haïtien. Sous la direction de Jimmy Chérizier (alias « Barbecue »), Viv Ansanm a lancé des attaques massives contre des infrastructures critiques (prisons, palais présidentiel, commissariats) et bloqué l'accès humanitaire, exacerbant la crise sécuritaire et les déplacements de population. Malgré des promesses de paix, ses actions—extorsion, recours aux enfants soldats, et destruction d'écoles et d'hôpitaux—en font un acteur clé de la catastrophe humanitaire en Haïti. La coalition est sanctionnée par le Conseil de sécurité de l'ONU depuis juillet 2025 pour son rôle dans l'effondrement de l'ordre public. Son nom, ironiquement pacifique, symbolise l'appropriation cynique du discours social par des groupes criminels.

2. L'utilisation du terme anglais design est ici délibérée. Elle renvoie au concept de « by design », signifiant que cette contradiction n'est pas le fruit du hasard ou de l'incompétence, mais résulte d'une intention stratégique, d'un plan calculé intégré à la structure du système. Un équivalent français comme « par dessein » ou « délibérément » n'aurait pas rendu avec la même acuité cette idée de conception cynique et préméditée.

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