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L'avant-projet de Constitution : une ultime étape dans la consolidation du désordre et de l’instabilité orchestrés par les gangs.

  • Photo du rédacteur: Renouvo Demokratik
    Renouvo Demokratik
  • 31 mai
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 juin

Notre Éditorial,

Par: Alain Zéphyr, Sociologue.

-PC: Novavox-
-PC: Novavox-

Nous avons toujours affirmé que la démocratie haïtienne est confisquée par les gangs armés, la classe politique traditionnelle et la communauté internationale. L'avant-projet de la nouvelle Constitution en est une preuve supplémentaire. À l’analyse, cette constitution apparaît comme une entreprise méthodique des forces du chaos visant à parachever la désintégration du pays.

Quand la loi devient l’instrument de la déconstruction

Depuis plusieurs années, la gouvernance haïtienne est marquée par une fragilisation des institutions et une montée en puissance des groupes armés. La classe politique traditionnelle et la communauté internationale semblent avoir échoué à contenir l’effondrement institutionnel et sécuritaire en Haïti. Cette situation résulte d’une série de décisions politiques et d’interventions internationales qui, loin de stabiliser Haïti, ont souvent aggravé la crise.

Aujourd’hui, la réforme constitutionnelle apparaît comme leur priorité absolue, reléguant les autres urgences nationales au second plan.

Le droit étant l’expression d’un équilibre de forces dans la société globale, une nouvelle constitution, adoptée dans un climat marqué par l’absence de libertés et le chaos instauré par les gangs armés, consacrerait un rapport de forces défavorable au peuple haïtien et à ses aspirations démocratiques, parachevant ainsi l’effacement des structures institutionnelles.

C’est pourquoi les conquêtes populaires inscrites dans la Constitution de 1987, forgée sous l’impulsion d’un puissant mouvement démocratique et incarnant les aspirations du peuple haïtien à une gouvernance plus juste et inclusive, se retrouvent aujourd’hui menacées.

Une Constitution au service du statu quo

Il va de soi que le projet préliminaire de la Constitution entérine une centralisation accrue du pouvoir, réduisant les contrepoids démocratiques et fragilisant les institutions garantes des libertés fondamentales.

Conçu en amont de la nouvelle Constitution haïtienne, ce document renforce le régime présidentiel en modifiant divers aspects du fonctionnement de l'État. Parmi les changements notables figurent la concentration des pouvoirs exécutifs, puisque le Président de la République ne dépendrait plus du Parlement pour nommer son gouvernement, accentuant ainsi la présidentialisation de l'exécutif. La cumulativité du mandat présidentiel dote l'exécutif d'une assise pérenne, tout en creusant un fossé institutionnel aux dépens des dispositifs de contrôle démocratique.

On note également une réduction du nombre de sénateurs, chaque département voyant sa représentation déclinée à seulement deux sénateurs, contre trois actuellement.

Par ailleurs, le poste de délégué départemental serait supprimé au profit d’un gouverneur, modifiant ainsi l’équilibre traditionnel des pouvoirs locaux, tandis que l’abolition du système de cartels municipaux aboutirait à la désignation d’un maire unique par commune, centralisant encore davantage la gestion des affaires locales.

Ces réformes pourraient induire d’importantes répercussions sur la gouvernance et la séparation des pouvoirs. En fragilisant les contre-pouvoirs et en limitant l’efficacité du contrôle parlementaire, elles semblent amorcer un démantèlement progressif des acquis démocratiques. Dès lors, certaines protections sociales et libertés fondamentales risquent d’être gravement compromises, réduisant ainsi la capacité des citoyens à influencer les décisions politiques.

Une Constitution au fondement du chaos.

La proposition constitutionnelle, en affaiblissant les communes, achève l’œuvre de déconstruction initiée par les gangs, qui cherchent à redéfinir la carte du pays et à effacer les lieux ancrés dans la mémoire collective haïtienne.

La commune, institution fondamentale en Haïti, trouve ses origines aux prémices de la République. Après l’indépendance en 1804, l’organisation administrative du territoire a évolué, substituant les paroisses coloniales par des communes. Ce changement traduisait la volonté des dirigeants haïtiens de rompre avec l’héritage colonial et d’instaurer une structure administrative adaptée à la souveraineté nationale.

Au fil des siècles, la commune haïtienne a évolué, consolidant son rôle central dans l’administration et la gouvernance locale. Les réformes constitutionnelles de 1843 et 1987 ont renforcé son autonomie administrative et financière, affirmant ainsi son importance dans l’organisation territoriale du pays.

Les communes sont le cœur battant du pays, insufflant une richesse culturelle, économique et sociale inestimable. Avec 146 communes et 575 sections communales réparties sur 10 départements, Haïti se singularise par une diversité harmonieuse, écho incontestable de l'authenticité de ses territoires.

Selon leur emplacement, les communes urbaines sont des foyers économiques et culturels dynamiques, malgré des défis tels que la surpopulation et l’accès limité aux services essentiels. À l’inverse, les communes rurales, véritables piliers de l’activité agricole nationale, jouent un rôle clé dans l’approvisionnement alimentaire, mais restent confrontées à un manque d’infrastructures et à un accès restreint à l’éducation et aux soins de santé.

Les communes forment une mosaïque vivante de territoires, empreints de leur histoire, de leur environnement et de leurs ressources. Chacune se distingue par une identité culturelle vibrante, animée par des festivals, des danses et des cérémonies vaudou qui rythment la vie locale et perpétuent des traditions profondément enracinées. Cette richesse plurielle façonne l’identité nationale et insuffle une dynamique collective essentielle

L'ébauche constitutionnelle envisage d’élever toutes les sections communales au rang de communes, supprimant ainsi le niveau administratif de base instauré par la Constitution de 1987. Cette réforme controversée pourrait engendrer une multiplication excessive des communes, passant de 146 à 717, sans garantie de ressources suffisantes pour assurer leur gestion efficace.

De surcroît, cette initiative menace d’affaiblir la représentation des zones rurales, qui bénéficiaient jusqu’alors d’une administration locale spécifique. Le texte constitutionnel n’établit pas clairement les modalités d’intégration de ces nouvelles communes dans un ensemble cohérent, ni la création éventuelle de nouveaux arrondissements, ouvrant ainsi la voie à une désorganisation administrative qui compromettrait l’équilibre des instances locales.

En somme, l'offensive de L'avant-projet constitutionnel à l'encontre des communes imprégnées d’un patrimoine républicain, fruit de plus de deux siècles d'histoire, attise le désordre nourri par l’emprise des gangs dans ces territoires, souvent qualifiés de perdus. Loin de consolider la gouvernance locale, cette démarche risque d’aggraver l’instabilité de ces régions, déjà profondément marquées par des tensions persistantes.

Une orchestration méthodique

L'avant-projet de constitution trace une fresque inédite, au cœur de laquelle l'ordre institutionnel s'entrelace avec une territorialisation parallèle, minutieusement ciselée par l’entreprise déterminante des groupes armés.

L'analyse approfondie de Vanda Felbab‐Brown démontre que, lorsque les forces gouvernementales opérant en zones de conflit se trouvent dénuées de légitimité et de capacités opérationnelles efficaces, les mesures désespérées qu'elles emploient se retournent fréquemment contre elles-mêmes, amoindrissant ainsi de manière significative la capacité de l'État à asseoir son autorité (Felbab-Brown, 2013).

Cette proposition, ultime stratagème destiné à renforcer un ordre établi dans lequel les véritables leviers du pouvoir demeurent l’apanage exclusif d’une élite politique et économique, en étroite connivence avec des groupes armés, incarne – et ne fait qu’exacerber – l’enracinement d’une crise d’une profondeur saisissante.

Pour sortir de l’impasse, il convient de revenir aux fondements de la Constitution de 1987 et de doter le pays d’un leadership authentique, apte à extirper les groupes armés au lieu de leur conférer une légitimité artificielle par l’entremise de réformes constitutionnelles et mesures analogues.

Le congrès patriotique pour le sauvetage d’Haïti qui s’annonce marque le début d’une large et essentielle concertation des forces patriotiques et progressistes, résolues à magnifier le bien commun au profit du pays.


Références:

Felbab-Brown, V. (2013, May 12). The Gordian Knot of Illicit Economies, Violent Conflict, Human Security, and Economic Development . The SAIS Review of International Affairs.

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