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L’avant-projet de constitution prône un retour au présidentialisme tout-puissant

  • Photo du rédacteur: Renouvo Demokratik
    Renouvo Demokratik
  • il y a 5 jours
  • 6 min de lecture

Par : Sonet Saint-Louis, av

Professeur de droit constitutionnel et de méthodologie à la faculté de droit et

des sciences économiques de l’université d’État d’Haiti.

Professeur de philosophie.

- PC: Novavox-
- PC: Novavox-

Depuis environ trois décennies, il ne se passe pas un jour sans que l’on ne répète, dans les milieux politiques, universitaires et diplomatiques occidentaux en Haïti, que la Constitution serait la source principale de l’instabilité politique du pays. Elle serait, selon eux, responsable des graves problèmes de gouvernance. Si les écoles ou les routes ne sont pas construites, c’est sa faute.

Ces universitaires et politiciens — de gauche comme de droite — formés à l’école du pouvoir autocratique et personnel des Duvalier, résument cette prétendue source d’instabilité de la manière suivante : le président de la République, en campagne électorale, fait des promesses à la population. Mais une fois élu, il se heurte à une réalité décevante : il ne détient pas le pouvoir réel.

Les véritables leviers résideraient entre les mains d’un Premier ministre issu d’une majorité parlementaire ou non, selon la réalité des Chambres. Ainsi, avant même de prendre les rênes du pouvoir, ce président élu se retrouve dans une situation d’anxiété politique face au futur chef de gouvernement, émanant de son autorité mais ne peut pas le révoquer, ce qui rend dès le départ toute collaboration difficile entre les deux têtes de l’exécutif.

Depuis lors, politiciens et universitaires proposent de transformer cette réalité en renforçant les pouvoirs du président, au détriment des autres institutions, notamment le Parlement, qu’ils jugent trop puissant, et surtout coupable d’entraver les actions « bienveillantes du président au bénéfice de la population ».

Contrairement à l’ancien projet qui ne doit plus se tenir, l'avant-projet de constitution poursuit donc deux objectifs majeurs: gonfler les prérogatives du président en supprimant tous les mécanismes de contrôle sur l’exécutif, et affaiblir autant que possible le Parlement. C’est cette nouvelle réalité qu’on nous propose, mettant fin à l'ancienne jugée trop déstabilisante pour la bonne marche de l'État. Mais, comme l’écrivait Spinoza : comment peut-on vouloir changer une réalité qu’on ne comprend pas ?

Je ne prétends pas posséder la vérité, comme le Professeur Gracien Jean, qui passe toute une nuit à pleurer parce qu’il est incapable de supporter les conséquences d’un débat scientifique rigoureux sur l’avant-projet de constitution dont il a la charge de défendre, envers et contre tous. Cela, pour satisfaire les caprices d’un pouvoir de facto en déliquescence, dépourvu de toute éthique gouvernementale.

Ces pleurs versés pour un travail mal fabriqué, dont la mise en œuvre sera signifiée au peuple — sommé de l’accepter par un référendum à la manière de Roger Lafontant pour un « oui » massif — auraient un sens humain si ses émotions étaient dirigées vers les milliers de citoyens qui sont à bout de souffle et à bout de tout.

Les émotions, tout comme les manipulations, encore moins les manœuvres médiatiques pour assurer une certaine légitimité à la démarche, ne changeront rien à la conception du texte soumis à la critique des citoyens. Tout cela constitue des obstacles épistémologiques aux conditions d’un travail scientifiquement bien conduit, pour répéter Gaston Bachelard.

Quand l’intellectuel, en quête de connaître, se heurte à une vérité, il se réinvente en remettant en question ce qu’il croit savoir, pour désapprendre dans le but de réapprendre, comme l’a dit Descartes.

Le système bicéphale mis à mal

Un journaliste demanda un jour à Leslie Manigat : « Comment comptez-vous diriger le pays, puisque la Constitution de 1987 n’a accordé aucun pouvoir au président ? » Ce dernier lui répondit : « Le Président de la République détient de réels pouvoirs ; il importe simplement de savoir comment les exercer. » Peut-être ma propre compréhension du pouvoir présidentiel, tel qu’inscrit dans cette Constitution, est-elle aussi sujette à l’erreur — comme celle de l’ancien président.

Mon article a pour objectif de déconstruire cette certitude selon laquelle le président élu sous l’égide de la Constitution de 1987 serait « nu comme un ver », dépossédé de tout pouvoir réel. C’est justement à partir de cette idée reçue que le comité de pilotage, érigé en constituante, s’est senti autorisé à gonfler les attributions du Président de la République dans l’avant-projet de nouvelle Constitution.

La Constitution de 1987 a instauré une gouvernance bicéphale : le Président de la République, chef de l’État, et le Premier ministre, chef du gouvernement, dont la mission principale est de coordonner les activités gouvernementales. Dans ce système remarquable, le Premier ministre constitue un contrepoids au Président de la République. Il ne s’agit pas d’un mécanisme destiné à bloquer le fonctionnement du pouvoir exécutif, mais plutôt d’un dispositif qui encourage un dialogue permanent entre les deux têtes de l’exécutif, au service du bon fonctionnement de l’État. C’est le principe de pondération du pouvoir : un exercice dans lequel chaque acteur joue un rôle d’importance relative dans le processus décisionnel.

Concrètement, le Président de la République exerce des compétences significatives. C’est lui qui désigne le Premier ministre, même lorsque ce dernier provient d’un parti majoritaire. Le Premier ministre ne peut, à lui seul, former le cabinet ministériel. Il se retrouve ainsi dans une situation de cohabitation, où deux visions politiques doivent coexister au sein du gouvernement. La diplomatie demeure la chasse gardée du Président : c’est lui qui nomme, après ratification du Sénat, les ambassadeurs et les consuls généraux.

Bien que le Premier ministre soit le chef de l’administration publique, c’est le Président qui nomme les directeurs généraux, les délégués et les vice-délégués. La nomination du commandant en chef de l’armée et de la police relève également de la compétence présidentielle. Les membres des conseils des banques sont choisis par le Président, même si leur nomination requiert la ratification du Sénat. Enfin, c’est le Président de la République qui préside le Conseil des ministres, la plus haute instance politique du pays.

Un Premier ministre émasculé

La Constitution de 1987 désigne le Premier ministre comme chef de l’administration, qui regroupe l’ensemble des agents publics — l’espace institutionnel par excellence où les gouvernants mettent en œuvre les politiques publiques. Il est également le chef du Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN). Il est la seule autorité investie du pouvoir de nommer et de révoquer dans l’administration publique. Toutefois, il n’a aucune autorité sur l’administration du Parlement ni sur celle de la Justice. Enfin, le Premier ministre contresigne les actes du Président, ce qui témoigne de sa responsabilité dans leur exécution. En cas de vacance présidentielle, il assure l’intérim jusqu’à l’élection d’un nouveau Président, conformément au texte amendé.

Dans l’avant-projet de Constitution, le poste de Premier ministre relève de la comédie, une véritable façade. Cette fonction y est totalement vidée de sa substance. Il assiste le Président, qui peut, s’il le souhaite, lui confier quelques tâches à accomplir. Il s’agit en réalité d’un vice-président déguisé, intégré à un régime présidentiel qui ne s’assume pas. Le Président peut le révoquer à sa guise et le remplacer par un autre ministre. Ce Premier ministre n’est pas soumis au contrôle du Parlement.

Nous sommes ainsi face à un régime où le Président concentre les fonctions de chef de l’État et de chef du gouvernement. Pourquoi alors dissimuler la vraie nature du régime qu’on cherche à imposer au pays ? Pourquoi le rendre méconnaissable, presque invisible ?

Un Premier ministre intégré dans un régime présidentiel, caractérisé par le principe de la séparation stricte des pouvoirs : voilà une nouveauté haïtienne qu’il convient d’interroger sérieusement. D’autant plus que cet avant-projet, qui prétend harmoniser les mandats, prévoit qu’en cas de vide législatif, le pouvoir exécutif soit habilité à faire des lois. C’est un véritable droit de dissolution, subtilement glissé au profit du Président de la République, sous prétexte de corriger une déviance, il annonce le retour en force du nouveau dictateur haïtien, pour répéter Frantz Duval.

En conférant un tel pouvoir au Président, de manière floue et imprécise — donc propice aux conflits — l’équilibre des pouvoirs est rompu. L’hégémonie présidentielle s’impose désormais sur le Parlement. Est-ce ainsi que l’on prétend rationaliser le régime présidentiel ? Quelle absurdité !

Devant une telle bêtise, Dr Gracien Jean, il y a réellement de quoi pleurer. Il faut pleurer les hommes dans leur bêtise. Moi, je vous regarde, et je vous plains, parce que je vois une nation malheureuse, en proie à une détresse à la fois morale et intellectuelle. Comme Catherine Corsini dans La Fracture, nous devons pleurer la nation. Pleurer une dernière fois, jusqu’à ce qu’il ne reste plus une seule larme à verser. À ce stade de désespérance collective, des larmes sincères, gonflées de révolte, pourraient se muer en un torrent puissant, capable de secouer les consciences engourdies. De ce sursaut citoyen, peut-être jaillira enfin l’élan vital nécessaire pour que la nation prenne forme et retrouve son souffle.

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