Haïti rançonnée; restitution, réparation en otage
- Renouvo Demokratik
- 28 août
- 6 min de lecture
Par : Hugue CÉLESTIN,
Membre de :Federasyon Mouvman Demokratik Katye Moren (FEMODEK) &
Efò ak Solidarite pou Konstriksyon Altènativ Nasyonal Popilè (ESKANP)

Ailleurs, les nations ont des gouvernants; en Haïti, nous avons des figurants en uniforme, cobayes d’un laboratoire tropical supervisé par l’ambassade américaine. Pour nos dirigeants, la soumission n’est pas une honte, mais une fierté nationale. L’absence de service n’est pas une anomalie mais l’art suprême de la démocratie bourgeoise dans les sociétés du Sud. L’électricité est un luxe de milliardaire, l’eau potable une légende urbaine, les routes des champs de bataille, la sécurité une fable comme celle des « Gran Djab » racontée aux enfants de nos campagnes reculées avant de dormir.
Pendant que le peuple agonise sous la faim, les rafales, les viols, les vols, les assassinats, les kidnappings et les incendies méthodiquement téléguidés par les gangs-milices, nos dirigeants se chamaillent comme des ivrognes au marché. Ils ne le font pas pour gouverner, mais pour grappiller l'invitation au prochain cocktail d'ambassade.
Dans ce cirque permanent de misère institutionnelle, on nous ressert une bouillie tiède. Un Comité National de Réparation et de Restitution (CNHRR) est installé. Le Moniteur, fidèle perroquet des communiqués officiels, régurgite un arrêté solennel pour sacrer ces vingt et un affidés triés sur le volet. Un véritable embauchage pour la prochaine Zafra, ils deviennent soudain princes d’une loterie de privilèges. Ils se congratulent pour la galerie, sans la moindre idée de ce que signifie contraindre la France à solder sa dette historique envers un peuple. Haïti, dans son lyrisme naïf, croit dégainer une arme de contre-offensive capable d’effacer des siècles de spoliations et d’humiliations.
L’histoire aurait pu être belle… mais nos élites l’ont trahie. Elles ont transformé le cri de liberté en gémissement de domestiques. Elles ont troqué le canon des ancêtres contre le stylo du maître, et marqué à jamais l’histoire d’Haïti dans l’encre de la soumission. Ce simulacre prend vie sous la férule de gouvernants déjà ligotés par leurs dettes morales, financières et politiques envers l’étranger. Trop occupés à se pavaner comme intendants des puissances qui tiennent la nation en laisse. Ils enterrent la justice historique aux oubliettes, tandis que la mémoire de 1825 attend patiente sa revanche, et elle la prendra.
Le CNHRR aurait pu être l’institution qui force la France à regarder son crime en face, qui oblige le monde à contempler le pillage de 1825. Mais il est né bancal; il n’a rien d’un cri de revanche nationale. C’est une pompe à per diem, un comité de diversion peuplé de figurants de circonstance.
Derrière la grandiloquence du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), se cache une vérité triviale : il n’a de « national » que l’encre de ses communiqués. C’est un véritable syndicat de serviteurs stipendiés, fidèles, non pas au peuple, mais aux chancelleries étrangères et aux milieux d’affaires qui tirent toutes les ficelles. Hier, l’ordonnance française étranglait la paysannerie ; aujourd’hui, l’arrêté haïtien engraisse les soumis du pouvoir. La rançon de 1825 continue de fructifier , jalousement protégée par les complices locaux du braquage originel.
Les ancêtres versaient leur sang pour briser l’ordonnance coloniale ; leurs héritiers modernes troquent l’indépendance contre des faveurs protocolaires et des invitations diplomatiques. Ils appellent « stratégie » ce qui n’est que servilité. La rançon d’hier s’est métamorphosée en clientélisme, corruption et dépendance institutionnalisée aux mains d’une troupe de valets officiels sous contrat. Ils vendent la souveraineté nationale au plus offrant. Les ancêtres, de Bois Caïman ou Kay Imam à Dessalines se retournent dans leurs tombes, horrifiés de voir leur mémoire foulée au pied par des traîtres impunis.
La France ricane, les élites encaissent, Haïti réclame
Avant de rire jaune face à cette mascarade consistant à réunir vingt et une personnalités, il faut rappeler l’évidence que ce débat précis aurait suffi à trois ou cinq intellectuels et militants véritablement engagés. Ces derniers sont ceux qui défendent réellement cette question cruciale, au cœur des rapports tumultueux entre nos deux peuples. Le devoir de mémoire nous oblige à l’ouverture de cet événement soi-disant historique.
La scène originelle est tragiquement connue; la France, incapable de digérer sa défaite, transforma la liberté des Noirs en marchandise et l’indépendance d’Haïti en hypothèque éternelle. Cent cinquante millions de francs-or furent exigés, au prétexte d’indemniser des colons dépossédés de leurs chaînes humaines. Ces vampires de plantations, frustrés de ne plus pouvoir saigner leurs esclaves, réclamaient de l’argent pour leurs « pertes » comme on réclame du sang au cadavre.
Charles X inventa le racket d’État, et Boyer, premier grand courtier de la soumission, signa l’ordonnance qui fit d’Haïti la vache à lait la plus rentable du siècle pour la France coloniale et le grand capital international. Désormais, un peuple vainqueur, braqué sous les canons, vit son président à genoux concéder la première capitulation budgétaire, gravée dans l’histoire comme une honte officielle. La liberté conquise par le sang devint marchandise, et le courage des ancêtres, objet de spéculation internationale.
Dans ses bagages, Charles X ne ramène pas seulement l’odeur rance d’une monarchie en décomposition, mais aussi une ordonnance qui exhale la messe noire d’un faux miracle divin. Le message était simple : « Payez, ou nous transformons la première République noire en barbecue colonial. » C’était un braquage impitoyable, un cambriolage diplomatique, un vol digne des pires rapaces de l’histoire, une extorsion bénie par les croix de Lorraine et les canons français. Voilà la première version du racket mondialisé, gravée non pas dans le droit, mais dans l’infamie, frappée du sceau de l’« ordonnance royale ».
Ce crime n’aurait jamais connu une telle longévité sans les complices locaux; courtiers de la dépendance. Jean-Pierre Boyer, grand stratège de l’humiliation nationale, inaugura cette triste tradition. Plutôt que de brandir l’épée de Vertières pour défendre l’indépendance, il baissa la tête et scella l’ordonnance infâme. Il remit la clé du trésor national aux créanciers français et ouvrit un siècle de servitude budgétaire. Depuis lors, les descendants de Boyer se sont succédé, jouant le rôle de percepteurs de la dette coloniale et de gestionnaires attentifs des intérêts du capital néolibéral.
L’indépendance est réduite au rang d’un marché aux esclaves financiers, cédée à crédit. Elle s’écoula en sang et en or, tandis que les colonisateurs, le sourire aux lèvres, savouraient le commerce macabre de notre dignité liquidée. On baptisa cela « reconnaissance », comme si la liberté conquise par Dessalines et ses soldats avait besoin d’un certificat des chancelleries parisiennes. Plus d’un siècle a englouti des transferts massifs et a sacrifié des générations sur l’autel de la rente. Des écoles jamais bâties, des routes jamais tracées, des hôpitaux jamais sortis de terre témoignent de décennies de promesses trahies. Pendant ce temps, la France encaissait, souriait et trônait parmi les neuf nations les plus « développées ».
Les élites se sont appliquées à transformer Haïti en comptoir d’exportation, en guichet de remboursement, en machine à enrichir les autres. La France pillait à cœur ouvert, tandis que les esclaves aux talents arrachés servaient de relais, d’intermédiaires, soutirant leur dîme dans le sillage du crime. La rançon ne fut pas seulement une affaire de frégates et de banques, elle fut aussi le fruit d’une collaboration active entre colonisateur et sous-traitants haïtiens.
Réparation, restitution
Pour sa liberté, Haïti a versé un tribut exorbitants pendant plus d’un siècle, alimentant la rapacité des puissances étrangères et des banquiers sans scrupules. Aujourd’hui, un danger moral et symbolique menace de transformer en comédie bureaucratique l’exigence du peuple haïtien. Si la réparation devient synonyme de petits per diem, de privilèges distribués aux amis du pouvoir, alors c’est l’ultime profanation de l’héritage de Dessalines et tous nos ancêtres forgeurs de liberté.Car, au lieu de rendre justice au sang versé, on livrera la mémoire de 1804 au ridicule d’un projet de corruption et de dilapidation de deniers publics.
La réparation ne doit pas être un rituel de salon, elle doit être chiffrée, juridiquement documentée et moralement impérative. Haïti ne tend pas la main ; elle présente la facture du remboursement. Si la France ou quiconque héritier de ce crime, refuse de payer, qu’on le sache.
Chaque génération haïtienne se lèvera pour rappeler, par tous les moyens, que l’indépendance ne se négocie pas et que la mémoire des ancêtres ne se marchande pas.
Haïti est libre, mais surveillée comme un esclave en permission. Le braquage de 1825 n’est pas une note de bas de page, mais l’ADN de notre misère organisée, le code génétique de notre pauvreté structurelle, l’acte de naissance d’un pays placé sous perfusion, fabriqué par les USA et administré par nos propres élites. Chaque retard de développement en Haïti s’écrit à l’encre de sang de cet impôt colonial.
Le braquage de 1825 n’est pas un souvenir, c’est un mandat. Ce mandat, Haïti l’exécutera jusqu’au dernier sou. On ne joue pas impunément avec la dignité d’un peuple qui a payé sa liberté de son sang.
La France des Lumières, la France des Droits de l’Homme, recycle ses crimes en spectacle. Aujourd’hui, elle a restitué des crânes à Madagascar pour les exposer en vitrines. Pour Haïti, elle impose un CNHRR , tandis que les 150 millions de francs-or dorment toujours dans ses coffres, loin du crâne disparu du génial Toussaint Louverture à Fort de Joux, dans le Jura. Des têtes elle rend, reliques pour les peuples ; le magot elle le garde pour Paris. Voilà le vrai musée du colonialisme ! Coloniale hier, kleptomane aujourd’hui, républicaine à crédit éternel.













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