Haïti Captive : L’État, silhouette légale au service de l’oligarchie
- Renouvo Demokratik
- 24 juil.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 août
Quand l’oligopole s’empare de tout
Par: Joseph Georges DUPERVAL,
Coordonnateur Général BATON JENÈS LA.

En me référant à l'article du Nouvelliste, je vous offre mon analyse approfondie touchant l'aspect politique et la main mise totale des oligarques sur le pouvoir politique.
Il n’est plus question, en Haïti, d’un simple verrouillage économique ou d’un déséquilibre de marché comme il en existe dans bien des pays du Sud. Ce à quoi nous assistons, implacablement, c’est à l’achèvement d’un processus historique : la confiscation complète de l’État par une minorité familiale, affairiste, organisée, disposant désormais des pleins pouvoirs économiques, institutionnels, sécuritaires et bientôt électoraux. Cette prise de contrôle n’est pas fortuite ni accidentelle. Elle est l’aboutissement d’un projet mûrement réfléchi, exécuté avec méthode, bénéficiant d’une passivité générale et de complicités internes comme internationales.
Pendant longtemps, on a cru que ces familles se contentaient de dominer les importations, le secteur bancaire, les assurances, les infrastructures, le négoce, l’immobilier. On a cru, à tort, que leur pouvoir était économique, que leur influence sur l’État se faisait en coulisses, dans l’ombre, et qu’il restait à la République des espaces de souveraineté. Mais avec la reconfiguration du paysage politique enclenchée par le Conseil présidentiel de transition (CPT), il devient clair que ces familles veulent tout : l’économie, la justice, la police, la politique, et même les urnes.
L’arrivée imminente de Laurent Saint-Cyr à la tête du Conseil présidentiel est l’étape ultime de ce processus. Issu lui-même des milieux d’affaires proches des grands groupes oligarchiques, sa nomination comme président du CPT, chargé d’organiser les élections générales, signifie tout simplement que l’oligopole organisera lui-même la "transition démocratique" à son image et à son avantage. Ce n’est plus seulement la financiarisation de l’État. C’est la privatisation de la souveraineté populaire.
Le Conseil présidentiel, dans sa configuration actuelle, ne représente aucunement les intérêts de la majorité silencieuse, encore moins ceux des laissés-pour-compte de l’économie informelle, des zones marginalisées, des jeunes désœuvrés ou de la diaspora patriote. Il est devenu une structure de légitimation d’un projet oligarchique, habillé d’un vernis démocratique pour satisfaire la forme aux yeux des chancelleries, mais totalement déconnecté des réalités du peuple. Le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé , placé là comme homme-lige, n’a ni marge de manœuvre, ni vision autonome. Il incarne la continuité technocratique au service du statu quo économique.
Mais ce qui rend ce moment particulièrement dangereux, c’est que le verrouillage est désormais total : économique, institutionnel, et sécuritaire. Les forces de sécurité, infiltrées à tous les niveaux par des intérêts privés, n’agissent plus comme des garantes de la sécurité nationale, mais comme des exécutants d’une stabilité sélective. Elles protègent les zones d’intérêt économique, les enclaves des puissants, pendant que les quartiers populaires sombrent dans le chaos ou sont livrés aux gangs, devenus les instruments de contrôle territorial indirect.
Il faut le dire clairement : l’oligopole contrôle aussi les gangs. Pas de manière officielle ou bureaucratique, bien sûr, mais à travers des arrangements, des pactes informels, des chaînes de complicité et de silence. Les gangs servent à dissuader toute révolte populaire, à maintenir la population dans la peur, à fracturer les mouvements sociaux, à neutraliser les leaders de base, à garder les masses dans l’insécurité chronique pour empêcher toute forme d’organisation collective. L’oligarchie n’a pas besoin d’envoyer la police pour mater le peuple : elle laisse les gangs faire, puis justifie l’état d’exception permanent pour mieux verrouiller.
Ce système est sophistiqué, brutal, cynique. Il ne survivra pas à la lumière, à la dénonciation publique, à la mobilisation lucide. Mais il est encore plus dangereux car il arrive à sa phase finale : la captation du pouvoir politique formel. Une fois Laurent Saint-Cyr en place, les prochaines élections ne seront pas un retour à la démocratie : elles seront l’ultime sacralisation d’une dictature de classe, sans uniforme, sans coup d’État militaire, mais infiniment plus perverse car légalisée par des urnes contrôlées.
Alors que faire ? Comment renverser ce modèle, si profondément enraciné, si protégé par des élites internes et des partenaires internationaux obnubilés par la stabilité, même mafieuse ?
La réponse ne viendra pas de l’intérieur du système. Elle viendra d’un choc. Soit un sursaut populaire, structuré, stratégiquement organisé et capable de désobéir, de dire non au simulacre, de refuser les élections arrangées et d’exiger un changement de régime, pas seulement de gouvernement. Soit une recomposition profonde des alliances internationales, avec des partenaires plus soucieux de développement que de stabilité à tout prix. Soit, plus probablement, une combinaison des deux, provoquée par une crise majeure, un événement imprévisible, un échec du système lui-même.
Ce qui est certain, c’est que la transition actuelle, dans sa forme actuelle, ne mènera à rien de salutaire pour la nation. Elle n’apportera ni paix durable, ni sécurité, ni justice sociale. Elle ne servira qu’à consolider un pouvoir mafieux aux mains propres, mais à l’âme pourrie.
Haïti est aujourd’hui à la croisée des chemins. Soit elle accepte le règne d’une poignée de familles qui dictent tout : prix, lois, impôts, armée, élections et renonce à son idéal républicain. Soit elle entre en rupture, non pas dans la violence aveugle, mais dans la clarté stratégique, dans la construction patiente d’un contre-pouvoir populaire, légitime, structuré, porté par une jeunesse nouvelle, une diaspora éclairée, une intelligentsia décomplexée et des leaders éthiques.
Cette rupture ne sera pas spontanée. Elle doit être pensée, organisée, planifiée. Car en face, les adversaires de la démocratie haïtienne ont déjà terminé leur plan. Le contrôle est total. Le pouvoir est à eux. Et ce qu’ils préparent, ce ne sont pas des élections : c’est l’enterrement de la République.
Mais l’histoire n’est jamais finie. Même les oligarchies les plus puissantes ont fini par tomber. À condition qu’un peuple s’éveille, et qu’il décide, une fois pour toutes, de ne plus vivre à genoux.

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