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Réinventer la Démocratie Pour Restaurer la Sécurité en Haïti

Photo du rédacteur: Renouvo DemokratikRenouvo Demokratik

Par : Alain Zephyr, Sociologue.

Nos comportements et nos attentes ont engendré, à tous les échelons de notre société, une culture "le bèf pou wa, savann pou wa" (le bœuf appartient au roi, la savane appartient au roi), qui se manifeste par une permissivité sans limites, symptôme indiscutable de notre crise sociétale. Cependant, aucun changement n'est envisageable sans une transformation de nos actions. Nos échecs peuvent se métamorphoser en opportunités d'apprentissage et de croissance, nous donnant la possibilité de nous adapter, de nous perfectionner et d'explorer de nouveaux chemins menant au succès. Transposée dans le domaine politique, source de nos désastres régressifs, cette préoccupation nous incite à nous interroger sur la manière de réinventer notre démocratie, confisquée par les gangs armés, la communauté internationale et une classe politique défaillante, pour surmonter la crise de sécurité. L'intégration de pratiques politiques innovantes et la revitalisation de la citoyenneté, tant en Haïti que dans sa diaspora, sont cruciales pour aborder cette question.

L’art de la Décadence

L'affaire de Woostha Louis, mieux connue sous le nom de Tata, illustre parfaitement le précepte bèf pou wa, savann pou wa" (Le bœuf appartient au roi, la savane appartient au roi), qui est prédominant. Cette femme de 48 ans a été arrêtée pour s'être faussement présentée comme policière depuis 1997, trompant ainsi les autorités et le public. Elle portait l'uniforme de la PNH et se faisait passer pour une inspectrice divisionnaire dans le but de mener des activités frauduleuses (Charles, 2024). Elle incarne un cas marquant de la corruption endémique et de la défaillance de nos mécanismes de contrôle. Ces exemples sont si nombreux que l’on s’y perd !

De façon similaire, depuis près de quatre ans, une durée qui correspond presque à un mandat présidentiel, Haïti et ses habitants subissent la brutalité constante des gangs armés, ce qui a des répercussions désastreuses sur les droits humains, le bien-être collectif et l'avenir des générations futures. Ces gangs commettent des viols, des destructions, des enlèvements et des meurtres en toute impunité. Depuis, le leitmotiv en Haïti est « kraze peyi li ye tonton », reflétant la liberté totale des gangs à régir nos vies avec leur brutalité sanglante et infernale, née d'une passion destructrice envers autrui, devenue désormais la norme. Notre inaction et le soutien actif de la communauté internationale sont les véritables fondements de la domination des gangs armés en Haïti.

Comme je l'ai démontré dans mes deux articles précédents, de 1993 à aujourd'hui, la communauté internationale a lancé plusieurs missions de paix en Haïti dans le but de contribuer à la stabilisation et à la sécurité. Non seulement ces missions ont échoué, mais elles ont également engendré des résultats contre-productifs. Cela est manifeste à travers la violence des gangs et la crise sécuritaire actuelle qui s'ajoutent aux autres fléaux d'Haïti. Malgré cet échec, les autorités du pays continuent de dépendre de la communauté internationale pour répondre aux besoins de sécurité nationale (Zephyr, 2024a, 2024b). À la lumière des événements récents, il semble que nos politiciens aient du mal à se libérer de leur dépendance historique aux directives des proconsuls de la communauté internationale. Une approche strictement pragmatique les encouragerait à s'affranchir de cette tutelle, en particulier en raison de son inefficacité évidente jusqu' ici.

De plus, les dirigeants ne possèdent aucun plan national pour faire face à la crise sécuritaire qui paralyse le pays depuis près de quatre ans. Les priorités du Conseil Présidentiel de Transition, accablé par ses divisions internes et ses scandales de corruption très médiatisés, paraissent divergentes. À la villa d'accueil, le Premier ministre se distingue davantage par ses slogans creux ("Nou pap fè bak", "Sekirite Kay pa Kay”) que par l'élaboration de stratégies concrètes et de réformes efficaces pour résoudre le problème. Le récent massacre perpétré à Pont-Sondé dans l'Artibonite, où des criminels affiliés au gang Gran Griff ont tué plus de soixante personnes, "Kay pa Kay", pour reprendre l'expression mordante d'une journaliste, met en lumière de manière tragique l'insouciance et l’inefficacité de ceux qui prétendent gouverner (Morland & Isaac, 2024) ; (Toussaint, 2024).

Soumise aux exigences de la communauté internationale, la classe politique haïtienne, qu'elle soit au pouvoir ou dans l'opposition, paraît négliger les revendications de ses citoyens qui aspirent principalement à une meilleure sécurité et à une participation active dans la société pour devenir les auteurs de leur propre histoire. En revanche, la communauté internationale et les politiciens locaux se concentrent sur l'organisation d'élections susceptibles d'être compromises par la violence des gangs, ce qui empêcherait les citoyens haïtiens de prendre des décisions vitales pour leur avenir et de surmonter la crise. Cette contradiction risque d'engendrer des crises supplémentaires, car depuis la Révolution française de 1789, l’autorité tire sa légitimité du peuple. Aujourd'hui, la communauté internationale et les politiciens qui lui sont affiliés parlent, délibèrent et décident à la place du peuple haïtien, afin de servir au mieux leurs propres intérêts.

Réinventer la Démocratie Pour surmonter la Crise de Sécurité

Ces débandades reflètent la décadence de nos institutions, fruit de notre propension à compromettre plutôt qu'à améliorer ou perfectionner notre héritage collectif pour les générations futures. Leur influence délétère sur le tissu social constitue la base de la gravité et de l'étendue de notre crise sécuritaire et sociale. Dans "De l'éducation de la crise à la crise de l'éducation", Janil Louis Juste souligne que la crise est transitoire, un moment propice à la réflexion et au changement, qui permet de redéfinir et d'ajuster nos fondements (Louis-Juste, 2003). Albert Einstein semble être d'accord, notant que le monde que nous avons créé est le résultat de notre niveau de pensée, mais que les problèmes qu'il engendre ne peuvent être résolus avec le même niveau de réflexion ( Einstein, as cited in Dyson, 2011). Notre avenir dépend donc de notre capacité à reconstruire le capital social au sein de nos familles, de nos écoles, de nos institutions et, plus largement, dans la société. Quelles en sont les implications pour les gouvernants, les gouvernés et la diaspora haïtienne ?

L'innovation dans les Pratiques Politiques

Les dirigeants politiques haïtiens sont confrontés au défi de mettre en place des pratiques politiques novatrices pour faire face à la crise de sécurité nationale. La culture politique prévalente les place souvent plus comme une partie du problème plutôt que de la solution. En effet, la classe politique haïtienne est en faillite, se complaisant uniquement dans la superficialité et le cynisme Il est impératif de développer de nouvelles compétences politiques qui contribueront à une gestion plus efficace des affaires publiques, indispensables pour dépasser la stagnation et l'impasse sécuritaire actuelles. Cette perspective implique un ensemble de mesures destinées à transformer l'action publique. Elle nécessite des dirigeants politiques affranchis de la domination de la communauté internationale, ce qui leur donnerait un contrôle réel sur les affaires nationales et la capacité de concevoir un plan de sécurité répondant aux attentes du peuple haïtien. Un tel plan est crucial, bien qu'il soit actuellement inexistant, pour lutter efficacement contre les gangs armés.

De plus, au lieu de se tourner vers une propagande trompeuse, célébrant constamment de faux triomphes pour calmer leurs citoyens, nos dirigeants doivent communiquer de manière transparente avec les citoyens sur les efforts entrepris pour renforcer la sécurité nationale. Cette communication devrait détailler les actions menées, les avancées obtenues et les réformes à venir afin de préserver la confiance publique et la transparence des initiatives prises. En agissant ainsi, ils se montreront à la hauteur de la responsabilité et de la confiance placées en eux pour diriger le pays en ces temps troublés.

De même, Il est capital que les dirigeants adoptent une gestion qui soit à la fois transparente et responsable. Ils doivent se conformer à des normes éthiques rigoureuses pour relever les défis engendrés par les scandales de corruption. La corruption mine les efforts de gouvernance et contribue à l'inefficacité des institutions publiques, notamment celles responsables de la sécurité. Elle détourne les ressources destinées aux services essentiels qui pourraient être allouées à la sécurité et érode la confiance du public envers les autorités. De plus, la corruption exacerbe les inégalités sociales déjà existantes, creusant davantage les écarts socio-économiques entre les populations, ce qui conduit à la violence et à l'instabilité. L’intégrité et la transparence sont, donc, fondamentales pour instaurer une gouvernance efficace de la sécurité publique.

Ces modifications de l'action publique s'avèrent plus que jamais incontournables en Haïti. Le rétablissement de la sécurité présuppose une autonomie décisionnelle pour gérer la crise, une préparation adéquate, une communication efficace, ainsi qu'une gestion rationnelle et transparente des ressources publiques.

Une Citoyenneté Renouvelée

Les citoyens doivent jouer un rôle actif dans la gouvernance en tenant les responsables publics comptables de leurs actes, particulièrement en matière de sécurité publique. Cette pression peut se manifester de diverses manières, telles que la participation à des réunions publiques, l'engagement dans des groupes d'autodéfense, ou l'utilisation des médias sociaux pour la sensibilisation. En restant informés et proactifs, les citoyens peuvent promouvoir des politiques qui renforcent la sécurité et le bien-être communautaire, tout en assurant la transparence et la réactivité des responsables publics aux besoins de la population.

Les victimes de violence doivent s'organiser et se mobiliser pour faire entendre leur voix et réclamer justice. La formation de réseaux de soutien et la collaboration peuvent considérablement aider à sensibiliser le public et les autorités face aux injustices endurées. En unissant leurs forces, les victimes peuvent échanger leurs histoires, se soutenir mutuellement et intensifier leur demande de réformes systémiques pour prévenir la violence et garantir une justice équitable et prompte. C'est grâce à la solidarité et à l'action collective que les victimes peuvent aspirer à un changement profond et persistant.

Enfin, la diaspora haïtienne peut jouer un rôle déterminant dans la restauration de la sécurité en Haïti. Elle possède les compétences et les connaissances requises pour développer des stratégies de sécurité intégrées, combattre le terrorisme et les gangs, renforcer le contrôle frontalier et lutter contre les menaces transnationales comme le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée. Toutefois, pour optimiser son influence, il devient nécessaire que la diaspora s'organise autour d'une série de politiques et d'initiatives cohérentes, exploite efficacement l'engagement communautaire et les réseaux politiques, et mette en place des mécanismes pour intensifier son implication dans le renforcement de la démocratie et de la prospérité en Haïti.

En conclusion, pour freiner la course folle d’Haïti vers l’abime et résoudre la crise sécuritaire, Il est de notre responsabilité de réinventer la démocratie nationale par une innovation des pratiques politiques et un renouveau de la citoyenneté. Cela permettrait de mettre l'accent sur la sécurité de millions de citoyens touchés par la violence des gangs et contribuerait à nos efforts pour reconstruire une Haïti basée sur la justice. Aujourd'hui, il est désolant de constater que nous allons à contre-courant. La communauté internationale et les décideurs locaux semblent favoriser la tenue d'élections factices contrôlées par les gangs, plutôt que de chercher à résoudre une crise sécuritaire qui perdure depuis quatre ans. Ce décalage illustre comment les solutions dictées par la communauté internationale vont à l'encontre des réelles aspirations du peuple haïtien pour la justice, la démocratie et le bien-être. Des élections de façade ne feront que prolonger l'impunité et la violence des gangs. La solution pour surmonter la crise sécuritaire de notre pays se trouve ailleurs. Elle repose principalement sur nos efforts collectifs pour libérer notre démocratie, prise en otage aussi bien par les gangs armés que par nos prétendus sauveurs.


References


Charles, D. (2024, Septembre 13). Arrestation de Woostha Louis, une fausse policière démasquée après 27 ans d’imposture. Juno7. Retrieved from https://www.juno7.ht/arrestation-woostha-louis-fausse-policiere-demasquee/

Dyson, F. (2011). The Ultimate Quotable Einstein. (A. Calaprice, Ed.) Princeton University Press. Retrieved from http://www.jstor.org/stable/j.ctt7s22s.27.

Louis-Juste, J. A. (2003). De la crise de l'education a l'education de la crise en Haiti. Port-au-Prince , Haiti: Les Presses Imprimeur II.

Morland, S., & Isaac, H. (2024, October 5). Haitian gang slaughters at least 70 people as thousands flee. Retrieved from Reuters: https://www.reuters.com/world/americas/un-horrified-least-70-killed-haiti-gang-massacre-2024-10-04/

Toussaint, J. (2024, Octobre 4). Pont-Sondé : « Kay pa kay », les gangs tuent, défient l’autorité de Garry Conille et de Rameau Normil. Hebdo24. Retrieved from https://hebdo24.com/2024/10/04/actualite/pont-sonde-kay-pa-kay-les-gangs-tuent-defient-lautorite-de-garry-conille-et-de-rameau-normil/

Zephyr, A. (2024, September 9). L’échec de La Mission Internationale de Sécurité en Haïti : un Résultat Prévisible. Boukan News. Retrieved from https://boukannews.com/lechec-de-la-mission-internationale-de-securite-en-haiti-un-resultat-previsible/

Zephyr, A. (2024, Septembre 27). L'enjeu Réel d'une Mission de Maintien de la Paix en Haïti. Novavox.

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