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Le succès du football haïtien peut-il offrir une lueur d'espoir à une nation en crise ?

  • Photo du rédacteur: Renouvo Demokratik
    Renouvo Demokratik
  • il y a 17 heures
  • 5 min de lecture

Par : Raphael McMahon*,

Latin America Reports

Le 18 novembre, les rues de Port-au-Prince, la capitale d'Haïti, ont été le théâtre d'un phénomène rare : des milliers d'Haïtiens ont célébré avec joie la qualification de l'équipe nationale haïtienne pour la Coupe du monde 2026. Cette qualification est historique, car pour la première fois depuis 1974, Haïti décroche sa place dans ce prestigieux tournoi.

L'équipe haïtienne a validé son billet pour la qualification en s’imposant 2-0 face au Nicaragua, grâce aux réalisations de Louicius Don Deedson et Ruben Providence. La rencontre, disputée à Willemstad (Curaçao), s’est tenue à l’étranger en raison des problèmes de sécurité qui empêchent Haïti de recevoir ses matchs à domicile.

Des bandes armées contrôlent la quasi-totalité de la capitale haïtienne. Le conflit entre ces bandes et les forces de sécurité nationales et internationales a déplacé près de 1,5 million d'Haïtiens

Étonnamment, la crise sécuritaire a également empêché le sélectionneur haïtien, le Français Sébastien Migné, de fouler le sol haïtien. Malgré cela, grâce à Migné et à une pléiade de stars haïtiennes et de la diaspora, les Grenadiers ont terminé premiers de leur groupe de qualification, devançant le Honduras, le Costa Rica et le Nicaragua.

Patrice Dumont, ancien sénateur haïtien de la ville de Léogâne, est un passionné de football de longue date. Commentateur sportif reconnu dans son pays, il est également professeur de sciences sociales, spécialiste des liens entre sport et relations internationales. Dans un entretien accordé à Latin America Reports, il a souligné que les victoires récentes de l’équipe nationale haïtienne rallument l’espérance et fortifient le moral d’un peuple éprouvé par la crise.

Dumont considère le recrutement de joueurs talentueux issus de la diaspora comme un élément clé du succès des Grenadiers sous la direction de Migné. Selon lui, l’ancrage européen de ce dernier lui a permis de repérer plus aisément les meilleurs footballeurs d’origine haïtienne, en Europe et ailleurs.

Parmi les joueurs actuels de l'équipe première d'Haïti figurent :

  • Josué Casimir, qui évolue à l'AJ Auxerre (Ligue 1 française)

  • Hannes Delcroix, qui joue pour le Burnley FC (Premier League anglaise)

  • Jean-Ricner Bellegarde, milieu de terrain des Wolverhampton Wanderers en Premier League anglaise

Cette sélection haïtienne est la première à compter trois joueurs issus des cinq grands championnats européens. C'est ce qui en fait, selon Dumont, « le meilleur groupe que nous [Haïti] ayons eu depuis au moins 20 ans »

Cependant, Dumont souligne que les contributions des joueurs de l'équipe nés en Haïti et qui y ont perfectionné leurs compétences sportives ne doivent pas être sous-estimées : « Il faut préciser qu'il y a au moins cinq joueurs [dans l'équipe] qui ont appris à jouer au football en Haïti… [comme le milieu de terrain] Danley Jean Jacques, [le milieu de terrain] Leverton Pierre, [l'ailier droit Don Deedson] Louicius, [le défenseur Ricardo] Adé et [l'arrière droit Carlens] Arcus. »

Dumont a également souligné la portée symbolique du succès de l'équipe haïtienne dans le contexte de la crise socio-économique et politique que traverse actuellement Haïti.

« La crise [haïtienne] est multidimensionnelle… [et] profonde… il n’y a pas d’institutions démocratiques… il n’y a pas de sécurité… [et] les bandits contrôlent de vastes portions de territoire », a-t-il déclaré.


Orchestre Tropicana

L’ONU indique que près de six millions d’Haïtiens sont menacés par la famine, plus de 60 % vivent avec moins d’un dollar par jour, la majorité des structures de santé de Port-au-Prince sont paralysées, et la violence des gangs s’étend désormais au-delà de la capitale, jusque dans les zones agricoles.

Face aux difficultés que traverse le pays, Dumont soutient que l'équipe nationale haïtienne est devenue un symbole particulièrement puissant, porteur d'espoir et fédérateur, car les Haïtiens de tous horizons ont constamment manifesté leur soutien à l'équipe « sur les réseaux sociaux… et dans les rues ».

Cela s'explique en partie par la forte culture du football en Haïti. « Nous sommes un peuple avec une grande tradition de football », explique Dumont. « Si vous venez un jour en Haïti… vous verrez le nombre impressionnant de matchs de football, que ce soit à 4, à 6 ou à 11, joués tous les jours, partout dans le pays, sur de minuscules terrains. »

La signification du 18 novembre, hier et aujourd'hui

La victoire de l'équipe contre le Nicaragua le 18 novembre revêt une importance historique particulière, a déclaré Dumont.

« La dernière bataille de la libération nationale [s'est déroulée à Vertières]… le 18 novembre. Là, les forces indigènes [d'Haïti] commandées par [chef de la révolution haïtienne et premier empereur d'Haïti] Jean-Jacques Dessalines ont triomphé des forces françaises.» La victoire des révolutionnaires haïtiens à la bataille de Vertières contre les forces de Napoléon en 1803 marqua la fin de la domination coloniale française sur l'île et donc la naissance de la première république dirigée par des Noirs au monde.

Ce n'est pas la première fois que le football haïtien et la commémoration de cette bataille finale pour l'indépendance d'Haïti se trouvent liés. Dumont souligne qu'un autre des triomphes footballistiques les plus mémorables d'Haïti a eu lieu « à cette même date… en 1979… [lorsque] nous avons remporté la finale [du Championnat de l'Union caribéenne de football] 1-0 contre le Suriname et sommes devenus champions des Caraïbes ».

Par conséquent, Dumont estime que la signification de la qualification d'Haïti pour la Coupe du monde dépasse le simple sentiment de célébration sportive. La diversité de l'équipe nationale haïtienne, dont les joueurs sont issus de la diaspora, des zones rurales et urbaines, est devenue un symbole de l'unité nécessaire à une renaissance nationale haïtienne. Ainsi, les joueurs haïtiens sont devenus un emblème de « l’esprit et de la conscience du peuple haïtien » eux-mêmes, conclut Dumont.

Le rôle du football dans les conflits

Il n'est pas rare qu'un joueur de football intervienne dans un conflit national. Après la qualification de son pays, la Côte d'Ivoire, pour la Coupe du monde 2006, Didier Drogba, l'ancien joueur vedette de Chelsea, a lancé un appel vibrant à la population ivoirienne, alors en proie à la guerre civile, l'exhortant à déposer les armes. Dans les semaines et les mois qui suivirent, le message fut diffusé en boucle dans tout le pays africain et, peu après cet appel, un cessez-le-feu fut déclaré.

Dumont compare les efforts de Drogba aux efforts actuels des joueurs haïtiens pour guérir les divisions qui ont longtemps miné Haïti. « Les footballeurs haïtiens essaient de faire quelque chose de similaire [à Drogba] » en faisant circuler le hashtag #ouvèpeyia (en créole haïtien, #ouvrirlepays) sur les réseaux sociaux, a-t-il déclaré. Le slogan, partagé par « le peuple haïtien, les journalistes [et] les intellectuels » ainsi que par les joueurs, vise à exprimer le désir des footballeurs haïtiens de pouvoir se rendre en Haïti et de célébrer en toute sécurité avec leurs familles et leurs supporters. Cependant, la signification de ce slogan s'est élargie pour englober le désir haïtien de paix et de fin des violences sur l'île.

Cependant, Dumont craint que les appels des joueurs ne restent vains. « Il y a une différence fondamentale entre le cas de la Côte d'Ivoire et celui d'Haïti. « Guillaume Soro [le chef de la coalition rebelle des Forces nouvelles de Côte d'Ivoire (FNCI) pendant la guerre civile ivoirienne] n'était pas un gangster… et ses soldats n'en étaient pas non plus. » Dumont ajoute que le président ivoirien de l'époque, Laurent Gbagbo, ne l'était pas non plus. En Haïti, affirme Dumont, « ceux qui attaquent les civils, ceux qui incendient des maisons, sont des gangsters » qui ne s'intéressent à aucune idéologie. « Ils ne veulent que de l'argent, rien d'autre. »


*Article initialement publié en anglais par Latin America Reports, traduit par Novavox.



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