Haïti face à un choix crucial : Stopper une réforme constitutionnelle contestée
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- il y a 7 jours
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Voici les raisons justifiant la mise à l'écart du l'avant-projet de constitution
Par : Sonet Saint-Louis av,
Professeur de droit constitutionnel et de méthodologie à la Faculté de droit et
des sciences économiques de l'université d'État d'Haïti.

J’ai déjà expliqué, dans les articles précédents, pourquoi la Constitution de 1987 n’a jamais été appliquée et comment elle a été victime d’une campagne de propagande menée par ceux qui n’ont jamais voulu de la loi comme régulation de la société haïtienne. Je l’ai dit : le respect de la loi est avant tout une question d’éducation.
La Constitution de 1987 n’a pas été appliquée, ce n’est certainement en raison de ses failles révélées, mais bien parce que les élites haïtiennes entretiennent un rapport problématique aux normes. Elles préfèrent prospérer dans le chaos et se révèlent, de ce fait, incapables d’évoluer dans une société haïtienne structurée autour des principes démocratiques, de l’État de droit et de la bonne gouvernance.
Le droit, tout comme la gouvernance aujourd’hui, est une affaire de contrôle. Or, nos gouvernants ne souhaitent malheureusement pas fonctionner dans un cadre démocratique où les pouvoirs qu’ils exercent seraient soumis à un système de freins et de contrepoids. La démocratie à laquelle nous aspirons est un système dans lequel les relations entre les pouvoirs doivent être marquées par la pondération et la modération.
C’est l’hypothèse que j’avais avancée dans mon mémoire, sous la direction du professeur Enex Jean-Charles, en lien avec ma question spécifique de recherche, il y a plus de vingt ans, à la Faculté de droit et des sciences économiques de l’Université d’État d’Haïti.
Ce travail demeure d’une brûlante actualité ! Je garde encore en mémoire les réflexions remarquables formulées, à cette occasion, par les professeurs Patrick Pierre-Louis et Henry Marge Dorléans, en leur qualité de membres du jury lors de ma soutenance. Ils continuent de mériter tout mon respect et demeurent, malgré mes avancées sur le plan académique, des références sûres et des sources d’inspiration profonde. Je salue ici leur précieuse contribution à la jeunesse universitaire de mon pays.
C’est avec un réel bonheur que je partage aujourd’hui la Chaire de droit constitutionnel à la Faculté de droit et des sciences économiques de l’Université d’État d’Haïti, aux côtés du Bâtonnier Me Patrick Pierre-Louis — mon ancien professeur de philosophie à l’École Normale Supérieure — et du Dr Josué Pierre-Louis.
Il importe donc de le rappeler et de l’affirmer : les relations que j’entretiens avec ces éminents universitaires, toujours actifs dans l’enseignement supérieur, sont doubles — à la fois amicales et intellectuelles. Ces liens, toutefois, ne sauraient en aucun cas compromettre ni la vérité ni la rigueur scientifique, par le jeu des compromissions ou des considérations pratiques que suppose l’exercice de la politique dans notre pays.
Mais il arrive souvent, dans notre milieu académique, que l’on n’admette pas le désaccord. Un milieu où les copains se félicitent mutuellement, quel que soit le niveau intellectuel ou scientifique du travail accompli, n’est pas un milieu scientifique, mais bien un espace de compromission — non de compromis — pour reprendre l’expression du philosophe Paul Ricœur, qui parlait de la pondération des contraires.
Je ne saurais dire combien de fois j’ai ressenti de la tristesse face aux remarques rigoureuses que mes professeurs formulaient à l’égard de mes travaux. Pourtant, c’est là l’essence même de l’exigence académique. Je ne peux être jugé que par mes pairs — mais aussi par ceux qui, sans en être, cherchent parfois à démolir mes réflexions. Une thèse, quelle qu’elle soit, ne peut fonctionner à l’intérieur d’une autre. Toute thèse, quoi qu’on en dise, comporte ses limites.
Montrer ces limites, c’est avant tout mettre en lumière son aspect extra-théorique ou en dévoiler les failles méthodologiques. C’est précisément ce à quoi je m’emploierai dans les textes qui suivront.
Le CPT n’a pas provision pour abroger la Constitution
Précisons qu'une démocratie, même bouleversée par des changements politiques, comme c'est le cas en Haïti, doit toujours être régie par les principes de l'État de droit. Dans ce cadre, les dirigeants ne peuvent exercer que les pouvoirs qui leur sont attribués par la Constitution et les lois de la République. La question qui se pose, peu importe les pressions internes et externes visant à provoquer un changement constitutionnel en Haïti, est la suivante : le Conseil présidentiel de transition (CPT) possède-t-il le pouvoir constitutionnel et légal pour entraîner un changement de régime en Haïti ? La réponse est un non catégorique et sans ambiguïté. Il existe donc une incohérence flagrante dans l'approche du CPT, qui cherche à abroger la Constitution de 1987, sur la base des recommandations des travaux du comité de pilotage.
L'arrivée du CPT, issue d'un consensus, intervient après l'éviction de l’ancien Premier ministre de facto, Ariel Henry, mise en œuvre par l'administration Biden, qui l'a maintenu en détention selon ses propres règles. Pourtant, cette transition n'a pas rompu de manière totale avec la Constitution. Le CPT, qui a profité de cette situation, a prêté serment sur la Constitution de 1987. Un acte d'imposture, certes, mais il l’a fait quand même. Je l'avais souligné à l'époque, mais personne n'a voulu en parler parce que j'étais du mauvais côté. Heureusement, le temps a fait son œuvre. Il faut toujours demeurer fidèle à la vérité et à la connaissance, car la stupidité n’a pas de durée.
Je peux à nouveau poser cette question : quelle légitimité le CPT détient-il vis-à-vis de la Constitution pour que ses membres aient osé prêter serment sur elle ? Aucune !
Au moment de la prise de pouvoir par ce CPT, si ses conseillers avaient fait preuve d’une véritable intelligence politique, ils auraient pu, par une proclamation solennelle à la nation, annoncer la fin de l'ordre constitutionnel qui a régi le pays pendant 38 ans. Cette démarche aurait rappelé celle du Conseil national de gouvernement instauré après la chute du régime des Duvalier, lequel avait abrogé l'ordre duvaliériste établi par la Constitution de 1983.
Dans le même élan, ils auraient pu annoncer la mise en place d’une nouvelle constituante afin de rédiger une constitution révisée. En prêtant serment sur la constitution en vigueur, les conseillers avaient accepté la continuité constitutionnelle. Or, l’avant-projet de constitution qu’ils ont rendu public constitue un crime de haute trahison, pour lequel ils devront être poursuivis devant la Haute Cour de justice.
À ce stade, il est manifestement trop tard pour que le CPT réalise ce coup d'État contre la constitution du peuple. Il n'a ni la légitimité auprès des citoyens, ni la crédibilité nécessaire pour mener à bien un tel coup de force. Le rapport de force politique qui se joue sur le terrain lui est totalement défavorable.
Le CPT crée une confusion générale
Le CPT, avec son avant-projet de constitution, plonge l'État dans une insécurité juridique totale, accompagnée d'une confusion considérable. Il continue de se référer à la constitution en vigueur pour prendre les décisions concernant le pays, tout en cherchant à renverser l'ordre constitutionnel sur lequel il repose. Le texte de 1987 demeure un document de référence pour les avocats dans la défense de leurs clients, et les conseillers inculpés l'évoquent pour contester leur justiciabilité devant les tribunaux de droit commun. La Cour de cassation continue d'assurer la primauté de ce texte fondateur. La confusion est omniprésente !
Au-delà de cette confusion, qui menace la sécurité juridique de l'État, une question se pose : comment assurer les bases démocratiques et constitutionnelles dans un régime d'exception ? Cette interrogation soulève plusieurs problématiques théoriques et pratiques liées au contexte de la crise actuelle, notamment en ce qui concerne le choix des acteurs, puisque la constitution de 1987 a déjà posé les bases nécessaires au passage de la transition à la démocratie.
Le problème réside dans le fait que le processus démocratique a été constamment mis en échec en raison de l'influence néfaste de nos gouvernants sur les institutions et des politiques imposées par des forces extérieures. La démocratie n'est pas envisageable avec des individus nourris ou éduqués dans la logique de la violence autoritaire. L'initiative du CPT et du gouvernement de Didier Fils-Aimé démontre qu'un groupe de personnes cherche à contrôler le processus décisionnel dans notre pays, au mépris de la volonté de la majorité des citoyens. Je l'ai maintes fois rappelé : la rééducation des élites est impérative pour faire avancer le projet démocratique.
La mise en œuvre de cet avant-projet de constitution constitue une véritable tragédie, un complot de dernière minute visant à prolonger les plaisirs d'un pouvoir en place tout en masquant la défaite du CPT dans sa mission de conduire la transition jusqu'au terme de son mandat. Ce projet de référendum devrait être purement et simplement bloqué, car les conditions procédurales ne sont pas réunies pour qu'un exécutif, et encore moins un exécutif de facto, puisse organiser un référendum en vue de modifier la Constitution.
Le comité de pilotage ne peut pas non plus jouer le rôle de constituant
Les ambiguïtés, les confusions et les imprécisions présentes dans le texte de 1987 sont bien connues. Le Dr Mirlande H. Manigat les a mises en évidence à travers des travaux académiques approfondis, fruits de réflexions mûries et éclairées, tout comme le professeur Claude Moïse a analysé la Constitution de 1987.
Nous ne sommes pas dans un contexte de rupture ni de discontinuité constitutionnelle. Il est donc essentiel de prendre le temps nécessaire pour apporter les modifications souhaitées au texte fondateur, lorsque les conditions seront propices. Le comité de pilotage ne saurait se substituer à une assemblée constituante sans avoir été désigné par le peuple. En dehors de cette procédure de désignation, il ne possède aucune légitimité pour agir en ce sens, et aucune instance de l'État ne peut lui attribuer ce pouvoir dans la situation actuelle.
La crise sécuritaire que traverse le pays est trop grave pour que l'on ajoute une nouvelle crise en tentant une réforme constitutionnelle précipitée. Haïti ne souffre pas d'un problème constitutionnel. La Constitution en vigueur depuis 38 ans a permis à la nation de résister aux velléités autoritaires et totalitaires de certains gouvernants.
Cette démarche de réforme constitutionnelle, en dehors de tout cadre légal et légitime, vise à confisquer, par des moyens détournés, la souveraineté du peuple. Je le répète : le peuple haïtien est à la fois l'auteur et le rédacteur de la Constitution de 1987. Ce dernier a choisi ses représentants pour en élaborer le texte et a validé ce travail à travers un référendum populaire le 29 mars 1987.
Toute tentative d'élaboration constitutionnelle issue d'un processus excluant les citoyens ne peut pas être celle d'une nation. Cette initiative doit être bloquée. L'enjeu constitutionnel est trop crucial pour qu'il soit abordé par un petit groupe isolé. La Constitution a pour objectif fondamental de concilier le droit constitutionnel du pouvoir politique avec celui du citoyen, lequel exerce ses droits politiques en désignant les détenteurs du pouvoir politique. La rédaction d'une Constitution est un moment déterminant dans la vie d'un peuple, et il ne doit en aucun cas y avoir de place pour l'arrogance ou la défiance envers l'esprit démocratique, excluant la participation populaire.
Le CPT et le Gouvernement doivent prendre ensemble la décision de réorienter cette période intérimaire ou se démettre pour faire place à une équipe plus compétente, patriote et soucieuse de l' intérêt national Comme le disait l'autre, dans peu de temps, les portes de l'enfer ouvertes par les puissants et les dirigeants se refermeront sur eux. Restons debout face à une époque qui, bien qu’en proie à des difficultés, n’est pas vouée à la soumission. Il est de notre devoir de relever notre pays, dans l'unité et la dignité, pour assurer à Haïti un avenir fondé sur la démocratie et la justice.
Au nom de l’intérêt supérieur de la Nation, je tiens à réagir avec gravité aux propos émis par le mouvement Renouvo Demokratik concernant la réforme constitutionnelle en cours.
Je reconnais l’importance du débat démocratique dans tout processus de transformation politique. Cependant, il est de notre devoir, en tant que citoyens responsables, de distinguer entre un véritable exercice de souveraineté populaire et une manœuvre institutionnelle orchestrée dans un climat d’occupation politique déguisée.
La présente tentative de réforme constitutionnelle, initiée par un Conseil présidentiel de transition non élu, constitue une violation flagrante de la légitimité républicaine. Elle ne procède ni de la volonté du peuple haïtien, ni d’un mandat constitutionnel clair. La Constitution de 1987, malgré ses imperfections, interdit expressément toute modification par…