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Une constitution est faite pour être appliquée ! Quelle constitution pour Haiti?

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    Renouvo Demokratik
  • il y a 3 jours
  • 6 min de lecture

Par : Sonet Saint- Louis av

Professeur de droit constitutionnel et de méthodologie de la recherche juridique

à la Faculté de droit et des sciences économiques à l’université d'État d'Haïti.

Professeur de philosophie.

- PC: Novavox -
- PC: Novavox -
La Constitution de 1987 comporte des failles qu’il est légitime de corriger. Mais certaines forces cherchent à la refondre, non pour combler ses lacunes, mais pour en faire une charte taillée à leur mesure. Mais dans quel but ?

La prestation de serment des autorités de la nouvelle transition sur la Constitution de 1987 signifie que ces gouvernants, bien qu'ils détiennent un pouvoir de fait, inscrivent leurs actions dans le cadre constitutionnel établi. Pour eux, il n'y a pas de vide juridique, tout comme l'ancien Premier ministre Ariel Henry se voyait dans la continuité constitutionnelle de Jovenel Moïse. Ils détiennent et bénéficient donc d'un pouvoir de fait, résultant d'un coup de force qui avait écarté le Dr Ariel Henry. En effet, le décret ayant donné naissance à ce CPT a clairement visé la Constitution de 1987. Aucune disposition de celle-ci n'a été mise en veilleuse.

C’est un aveu d’illogisme : le CPT invoque une Constitution qu’il cherche à abroger, tout en s’appuyant sur elle pour légitimer ses décisions. Une telle démarche compromet dès l’origine toute prétention à la légalité et révèle une initiative politique dépourvue de fondement constitutionnel.

Or, l’actuelle Loi fondamentale encadre strictement les conditions dans lesquelles ses dispositions peuvent être modifiées. Aucune de ses clauses n’attribue au pouvoir exécutif — qu’il soit légitime ou de facto — la compétence de procéder, seul, à une révision constitutionnelle. Le texte prévoit expressément que le pouvoir exécutif, au même titre que le Parlement, peut soumettre des propositions d’amendement. Toutefois, celles-ci doivent se conformer à un mécanisme formel d’adoption et de ratification, garantissant le respect des principes de légitimité démocratique et de hiérarchie des normes.

L'Accord du 3 avril 2024, auquel a adhéré une bonne partie de la classe politique, a prévu que la décision de mettre en place un nouveau chantier constitutionnel en Haïti soit celle de la Conférence nationale, de manière à donner une légitimité à la démarche, laquelle aurait permis de contourner la procédure actuelle, telle qu'elle est formulée à l'article 284-2 de la Constitution en vigueur.

Une forte résistance aux normes

Le comité de pilotage de la Conférence nationale, sous les ordres du CPT et du gouvernement d'Alix Fils-Aimé, a élaboré un avant-projet de constitution qu'il a rendu public, dans lequel il a créé un président à qui il attribue des compétences qui font de lui un être absolu, totalement déraisonnable.

Pendant nos deux siècles d'Histoire, je l'ai souligné à plusieurs occasions, notre pays a rédigé 23 constitutions. On pensait qu'avec celle de 1987, le laboratoire qui nous fabrique des constitutions allait cesser de fonctionner. Parce qu'elle n'a jamais été appliquée, non seulement à cause des résistances internes causant de graves crises politiques, mais aussi en raison des impositions ou des interférences étrangères dans la vie politique du pays. Cet avant-projet, dont l'examen nous a montré qu'il n'aura permis ni de faire évoluer le droit, ni d'améliorer le texte de 1987 qu'on souhaiterait mettre de côté, annonce la rédaction d'une vingt-quatrième constitution.

Pourquoi Haïti fabrique-t-elle autant de constitutions ? Que traduit cette réalité ? Faiblesses intellectuelles des constitutions ou résistances aux normes ? Y a-t-il, parmi toutes ces constitutions, l'une qui ait été jugée excellente en termes de valeur juridique et politique ? Si c'est le cas, pourquoi n'a-t-elle pas fait son chemin ? Pourquoi nos lois les plus excellentes, celles jugées techniquement bien préparées, répondant aux nécessités des citoyens ou s'attaquant aux problèmes qu'elles souhaitent résoudre, n'ont-elles jamais été appliquées ?

Pourquoi nos bonnes lois, comme les mauvaises, ont-elles eu le même sort ?

Il s’agit bel et bien d’une résistance aux normes. Celle-ci dérive d’un problème d’éducation. Je me demande pourquoi les élites haïtiennes, dans leur grande majorité, préfèrent prospérer dans le chaos plutôt que de vivre dans une société dominée par les règles de droit. Je pense que, pour qu’une loi ait réellement une chance d’être appliquée, il faut apprendre aux élites haïtiennes à l’aimer et à la désirer. Car la valeur intrinsèque d’une loi est importante, mais elle n’est pas, à elle seule, une garantie de son respect s’il n’existe pas, dans notre société haïtienne, des forces économiques, sociales, morales, intellectuelles et politiques prêtes à la soutenir.

Nous avons pris l’habitude de renverser des gouvernements constitutionnellement élus pour mettre en place des gouvernements éphémères et des transitions précaires. Toutes ces actions, nous devons l’admettre, n’ont contribué qu’à la régression de la démocratie dans notre pays. Si nous adhérons à la démocratie, nous devons accepter que le pouvoir émane du peuple. C’est le consensus politique que nous avons établi ensemble à travers notre Constitution. Cette idée, selon laquelle le pouvoir émane du peuple, dépositaire de la souveraineté nationale, comme le précise l’article 58 de la Constitution, est structurée autour de la formation des trois branches du pouvoir, à l’exercice duquel les citoyens désignent les membres de chacun de ces pouvoirs.

Le respect de ce consensus social exige que le pouvoir soit exercé dans un cadre démocratique, qui assure aux gouvernants une légitimité, et que tout pouvoir exercé en dehors du consentement populaire relève de la violence.

La vie des institutions repose sur le respect du consensus bâti à travers le texte fondateur, qui en trace la procédure de révision. Si cette procédure n’est pas respectée, l’État est plongé dans une insécurité juridique, synonyme de chaos et de désordre généralisé, préjudiciable aux principes de la primauté du droit.

La meilleure constitution est celle qu’on respecte

La meilleure constitution n’est pas celle qui institue un régime parlementaire ou présidentiel — Haïti ayant, au cours de ses 220 ans d’histoire, expérimenté toutes les formes de régimes politiques.

Ce qui importe aujourd’hui, c’est de savoir quelle constitution serait capable de propulser Haïti vers la croissance et le développement économique. Laquelle permettrait à chaque Haïtien de réaliser son bonheur, et à l’État d’accomplir ses missions fondamentales au service de la nation?

Une Loi fondamentale solide est celle qui établit un équilibre des pouvoirs dans un cadre démocratique ; qui confère une légitimité incontestable aux détenteurs des pouvoirs publics ; qui protège les libertés et les droits fondamentaux des citoyens ; et qui encadre les relations entre gouvernants et gouvernés par la limitation de l’arbitraire de l’État.

Le texte de 1987 répond à l’ensemble de ces principes. Mais n’ayant jamais été véritablement mis en œuvre, certains secteurs — qui ont constamment entravé son application — en contestent aujourd’hui l’efficacité.

Or, l’élaboration d’une Constitution, comme celle de toute loi fondamentale, exige la mobilisation de compétences pluridisciplinaires : philosophes, sociologues, historiens, anthropologues, politologues, linguistes, professeurs de droit, juristes. Le droit n’est pas qu’une affaire de techniciens ou de juristes : il est une réalité complexe, qui ne peut être pleinement appréhendée qu’à travers une approche multidisciplinaire.

Aujourd’hui, avec la montée de la pensée libérale, il me semble que les économistes occupent une place centrale dans la fabrication du droit. L’économie tend à s’ériger en juge du droit ; elle dicte ce qui est considéré comme « bon droit ». L’analyse économique du droit éclaire et oriente l’élaboration de règles favorables au développement des affaires, à la croissance économique et à l’investissement.

Cet avant-projet, je l’ai dit, renforce les zones grises juridiques en éliminant les contrepoids et les mécanismes de contrôle parlementaire sur les actions du gouvernement. Il n’y aura pas de développement économique dans l’insécurité juridique et dans l’imprévisibilité des solutions juridiques. Qui viendra donc investir dans un pays où règne l’arbitraire des chefs et où la justice n’est pas indépendante ?

Haïti n’a pas besoin d’une constitution telle que celle annoncée dans l’avant-projet élaboré par des constituants auto-proclamés, dont l’objectif est de saper les principes de la bonne gouvernance, de l’État de droit, de la responsabilité, du contrôle et de la transparence.

Que l’on soit dans un régime parlementaire ou présidentiel, ce qui importe, c’est finalement la volonté des gouvernants et des gouvernés de respecter la loi. Sans stabilité, il n’y aura pas de développement économique. La meilleure politique est de maintenir les institutions en vie, en particulier celles qui garantissent la mise en œuvre de l’État de droit.

Comment faire comprendre cette exigence fondamentale à ceux qui aspirent à nous gouverner ? Comment leur apprendre qu’aucune réforme constitutionnelle ne pourra porter ses fruits si elle n’est pas d’abord portée par une volonté sincère de construire un État respectueux des lois, au service de l’intérêt général et de la démocratie.


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