Régression démocratique en marche : les défenseurs des droits humains alertent
- Renouvo Demokratik
- 12 juin
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Rejet de l'avant-projet de constitution du Conseil Présidentiel de Transition (CPT)

1. Nous, organisations de promotion et de défense des droits humains et de la société civile, signataires de la présente, rejetons catégoriquement l'avant-projet de réforme de la constitution de 1987 que le Comité de Pilotage a présenté au Conseil présidentiel de Transition (CPT) dans ce contexte d'insécurité généralisée et issu d'un processus illégal, illégitime, en violation des principes fondamentaux de transparence, de participation et de souveraineté du peuple.
2. Nous tenons en effet à souligner que le CPT a mis sur pied un comité de pilotage sans consultation et concertation effective avec les secteurs clés de la vie nationale tel qu'il est indiqué dans l'Accord du 3 avril 2024, principal cadre consensuel de cette transition politique en cours. Il est à noter aussi que le décret du 17 juillet 2024 créant ce fameux Comité de Pilotage de la conférence nationale outrepasse l'accord du 3 avril 2024, en lui confiant un mandat constituant alors que seule une Assemblée constituante élue peut légalement rédiger une nouvelle Constitution.
3. Par ailleurs, c'est avec étonnement et consternation que nous avons appris a posteriori, comme de nombreux autres acteurs et secteurs clés de la société civile, l'annonce de prétendues assises départementales, voire de la tenue d'une "Conférence nationale. En réalité, aucune information claire ni communication publique n'avait été diffusée en amont concernant l'organisation, le calendrier, les critères de participation ou les modalités de ces rencontres. Cette opacité manifeste qui entoure ledit processus révèle une volonté délibérée d'exclure les forces vives de la nation du débat constitutionnel.
4. Il convient donc de souligner que cette démarche engagée par le CPT dans ces conditions s'inscrit dans la même tendance problématique qui cherche à utiliser la question de la réforme de la Constitution de 1987, au nom d'une modernisation supposée, pour consolider avant tout leur pouvoir et répondre à leurs intérêts politiques et/ou économiques.
5. Outre le caractère illégitime du processus, nous avons constaté que certaines dispositions dans cet avant-projet représentent un net recul démocratique pour la société haïtienne. Dans ce document, le principe fondamental de séparation des pouvoirs, garanti par la Constitution du 29 mars 1987, est en effet fortement compromis. Le pouvoir judiciaire, censé être indépendant, se retrouve manifestement subordonné à l'Exécutif, cette domestication de la justice haïtienne nous révolte car elle ouvre la voie au renforcement de l'impunité et de la corruption, deux (2) fléaux qui minent la jouissance effective des droits humains dans le pays.
6. De surcroît, l'avant-projet introduit une totale ambiguïté relative au régime politique qui constitue la finalité essentielle d'une constitution. Le recours au terme de «gouverneur» pour désigner les responsables départementaux crée une confusion majeure quant à la structure réelle de l'État. Cette désignation, absente de la tradition politique haïtienne, laisse planer le doute sur la nature des relations entre les différents niveaux de pouvoir et ne permet pas de distinguer clairement s'il s'agit d'un régime unitaire décentralisé ou d'un système fédéral déguisé. Cette ambiguïté renforce la perception d'un projet confus, déconnecté de la réalité institutionnelle et administrative du pays.
7. Sur la question des collectivités territoriales, nous y constatons de graves incohérences. Élever toutes les sections communales au rang de communes constitue une aberration administrative, notamment dans un contexte où les capacités financières, humaines et techniques font défaut à l'administration publique. Une telle mesure, prise sans étude préalable ni concertation, ne tient pas compte des réalités géographiques, économiques et logistiques du territoire. De plus, le texte ne reconnaît comme collectivités territoriales que la commune et le département, tout en indiquant que la commune n'est pas sous la tutelle du gouverneur du département auquel elle appartient. Une telle rupture hiérarchique va à l'encontre de toute logique d'organisation territoriale cohérente.
8. De plus, la mention de «communautés de communes » pour les zones à forte concentration urbaine ajoute à la confusion. Est-ce un nouveau niveau de collectivité territoriale ? Quelles en seraient les compétences, les ressources, la légitimité institutionnelle ? L'avant-projet reste totalement muet sur ces points essentiels. Ces imprécisions, contradictions et approximations révèlent une méconnaissance profonde des réalités haïtiennes et un mépris des principes de gouvernance démocratique.
9. À la lumière de ces constats, les organisations signataires réaffirment, leur position ferme : cet avant-projet de Constitution est non seulement illégitime dans sa procédure, mais aussi dangereux dans son contenu. Il doit être rejeté avec la plus grande fermeté. Dans le contexte actuel, marqué par l'instabilité généralisée, toute tentative de réforme constitutionnelle est inopportune et risquée. Une réforme véritable et crédible ne peut avoir lieu que dans un cadre démocratique, stable, participatif, et portée par une assemblée constituante librement élue.
10. Nous restons convaincus que la crise actuelle que traverse Haïti n'est pas une crise constitutionnelle, mais une crise de gouvernance et de non-respect des règles établies. Nous réaffirmons notre attachement aux principes démocratiques de la Constitution du 29 mars 1987, fruit de nombreuses luttes populaires et rédigée en tenant compte des réalités haïtiennes. Loin de nous l'idée de prétendre qu'elle est exempte de limites, néanmoins, il est important de rappeler qu'elle n'a jamais été pleinement appliquée.
Les signataires :
Plateforme des Organisations Haïtiennes de Droits Humains - POHDH
Alermy LIERFILES
Commission Épiscopale Nationale Justice et Paix - CE-JILAP
Jocelyne COLAS
Réseau National de Défense des Droits Humains - RNDDH
Marie Rosy Auguste
Ensemble Contre la Corruption
Edouard PAULTRE
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