La Rançon de 1825 : un marqueur d'un piège néocolonial selon le politologue Frédéric Thomas
L’actualité de la Rançon@ NOVAVOX.
Dans un article intitulé La gouvernance internationalisée de l'État haïtien, publié le 10 janvier dans Le Monde, Frédéric Thomas, politologue et chercheur au Centre tricontinental (CETRI) de Louvain-la-Neuve, en Belgique, analyse la Rançon de 1825 comme le symbole d'un piège néocolonial.
Il écrit à ce sujet : "... Le 17 avril 1825, Charles X signe une ordonnance par laquelle la France « ordonne » à Haïti de lui accorder un accès privilégié à son commerce et de « dédommager les anciens colons », en payant une indemnité de 150 millions de francs. A ces conditions, elle « concède » l’indépendance à son ancienne colonie, qui, en battant les troupes napoléoniennes, s’était libérée 21 ans plus tôt, devenant en 1804 la première nation issue de la révolution d’esclaves noirs.
À défaut de changer l’histoire, on l’a réécrite. Afin de payer cette indemnité colossale, évaluée en valeur actuelle à quelque 525 millions d’euros, Haïti fut obligé d’opérer plusieurs emprunts dans les banques françaises… qu’elle dut rembourser avec les intérêts. L’économiste Thomas Piketty a évoqué un « néocolonialisme par la dette », tandis que l’historienne haïtienne Gusti-Klara Gaillard-Pourchet y a vu l’enfermement durable d’Haïti dans une spirale d’endettement et de sous-développement. Imposée par la force, cette dette n’en conclut pas moins un arrangement asymétrique entre les classes gouvernantes en Haïti et en France sur le dos de la population rurale haïtienne, ce « pays en dehors » qui demeure la principale menace à tout pouvoir.
De loin en loin, cette vieille histoire se rappelle à la France… qui se dépêche de l’oublier et de retomber dans une sorte de lobotomie historique. D’excuses et de réparation, il n’est toujours pas question. Au contraire, même, la petite phrase d’Emmanuel Macron, en marge du G20, au Brésil, le 19 novembre 2024, sur les Haïtiens « complètement cons », « qui ont tué Haïti », témoigne du déni et du mépris dans lequel l’État français s’est enferré. L’un comme l’autre, les moments 1825 et 2010 sont des marqueurs d’un piège néocolonial qui consacre la gouvernance internationalisée d’Haïti et la condamne à un cycle infernal de catastrophes, de crises et d’ingérence. La communauté internationale, alignée sur Paris d’abord, Washington ensuite, n’a jamais cessé d’intervenir dans les affaires intérieures du pays, depuis l’organisation et le financement d’élections jusqu’à l’envoi régulier de forces armées multinationales – celle en cours sous le leadership du Kenya –, en passant par la restructuration de l’économie haïtienne".
Malgré une estimation conservatrice de la valeur actuelle de la rançon de 1825, bien inférieure aux 100 milliards de dollars réclamés par les mouvements sociaux haïtiens, Frédéric Thomas demeure une voix influente en faveur de la restitution.
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