La Constitution de 1987: le bouc émissaire d'une classe politique en faillite.
- Renouvo Demokratik
- 9 févr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 févr.
Pour un nouveau rapport à la norme constitutionnelle
Par: Yves Pierre, Renouveau Démocratique.

"La Constitution est source d'instabilité." "Le texte est dépassé." "La loi mère paralyse l'action politique." Ces accusations sont devenues le refrain favori d'une classe politique haïtienne en quête perpétuelle d'alibis pour justifier ses échecs. En faisant de la Constitution de 1987 leur bouc émissaire, nos dirigeants tentent de masquer une réalité bien plus dérangeante : leur incapacité chronique à respecter les normes qu'ils ont eux-mêmes la charge d'appliquer.
Une Constitution jamais appliquée : le grand paradoxe haïtien
Comment peut-on juger inefficace une Constitution qui n'a jamais été véritablement mise en œuvre ? Michel Jacques Saint Louis, l'un des architectes du texte de 1987, pose un constat accablant : depuis son adoption, la Constitution n'a jamais été appliquée dans son intégralité. Les exemples de ce sabotage institutionnel sont légion.
Prenons le système électoral. La Constitution prévoyait un Conseil électoral permanent, garant de la stabilité et de la crédibilité du processus électoral. Qu'en ont fait nos dirigeants ? Une succession de conseils provisoires, maintenus dans la précarité pour mieux les contrôler. Trente-trois ans après, aucune élection n'a été organisée conformément aux prescriptions constitutionnelles.
Les Assemblées municipales et départementales ? Jamais mises en place. La décentralisation effective ? Restée lettre morte. Les mécanismes de participation populaire ? Systématiquement contournés. À chaque fois, ce ne sont pas les dispositifs constitutionnels qui ont failli, mais bien la volonté politique de concrétiser cette démocratie participative et décentralisée voulue par les constituants de 1987.
L'instrumentalisation cynique des failles présumées
L'argument du "blocage institutionnel" est devenu le mantra d'une classe politique en panne de légitimité. On accuse la Constitution d'avoir créé un système paralysant, mais on oublie commodément que son texte original visait précisément à rapprocher le pouvoir du peuple à travers une décentralisation effective et des mécanismes de participation citoyenne.
Le texte de 1987 établit un système démocratique innovant qui ne se limite pas aux seuls pouvoirs centraux. Il prévoit une participation active des citoyens à travers les collectivités territoriales et les assemblées locales. Si ces mécanismes semblent créer des "complications", c'est précisément parce qu'ils visent à empêcher la confiscation du pouvoir par une élite centralisatrice. Ce n'est pas le dispositif qui est défaillant, mais la réticence des acteurs politiques à accepter ce partage du pouvoir avec les citoyens.
L'histoire récente en témoigne. Lors de la 50e législature, comme le rappelle l'ancien député Jacob Latortue, le travail de la commission spéciale sur la réforme constitutionnelle a été délibérément saboté par des parlementaires plus soucieux de leurs intérêts politiques que de l'intérêt national.
La culture du contournement : une tradition politique destructrice
Le véritable problème réside dans une culture politique profondément ancrée du contournement de la norme. Comme le souligne avec pertinence l'avocat Woodken Eugène, "le texte n'a pas la charge de s'appliquer lui-même". Ce sont les dirigeants qui, systématiquement, cherchent à contourner les prescrits constitutionnels plutôt qu'à les respecter.
Cette pratique s'observe à tous les niveaux de la vie politique. Des tentatives d'amendement constitutionnel sous René Préval aux récentes initiatives de réforme, le mépris des procédures constitutionnelles est devenu la règle plutôt que l'exception. Les élites politiques préfèrent bricoler des solutions extra-constitutionnelles plutôt que de jouer selon les règles établies.
Les conséquences désastreuses d'une gouvernance hors-norme
Cette relation toxique à la norme juridique a des conséquences dévastatrices sur notre démocratie. L'instabilité chronique que connaît Haïti n'est pas le fruit d'un texte constitutionnel défaillant, mais le résultat direct de cette culture du contournement.
En trente-trois ans, le pays a connu quatorze chefs d'État et vingt-cinq Premiers ministres. Cette valse politique n'est pas imputable à la Constitution, mais à l'incapacité de notre classe politique à respecter les règles du jeu démocratique.
Plus grave encore, ce comportement érode la confiance des citoyens dans les institutions. Comment le peuple peut-il croire en un système où les plus hautes autorités de l'État sont les premières à violer la loi qu'elles sont censées défendre ?
Pour un nouveau contrat constitutionnel
La solution ne réside pas dans l'adoption d'une énième Constitution qui subira le même sort que ses prédécesseurs. C'est notre rapport au droit qui doit être fondamentalement repensé. Plusieurs chantiers s'imposent :
L'application immédiate et intégrale des mécanismes de décentralisation prévus par la Constitution, notamment la mise en place effective des collectivités territoriales avec leurs organes délibératifs élus.
Le respect scrupuleux des dispositifs de participation populaire, en garantissant aux citoyens leur droit constitutionnel de participer directement à la gestion des affaires publiques à travers les assemblées de section communale.
Un investissement massif dans l'éducation civique et juridique, pour former une nouvelle génération de citoyens conscients de leurs droits constitutionnels et capables de participer activement à la vie démocratique locale.
La mise en place effective des mécanismes de contrôle populaire prévus par la Constitution, notamment à travers le renforcement du rôle des assemblées locales dans la supervision des élus.
Conclusion
Il est temps de mettre fin à cette mascarade où la Constitution sert de paravent aux défaillances de notre classe politique. Le texte de 1987, malgré ses imperfections, offre un cadre suffisant pour construire une démocratie fonctionnelle. Ce n'est pas d'une nouvelle Constitution dont Haïti a besoin, mais d'une nouvelle classe politique capable de respecter et d'appliquer les règles existantes.
Le véritable changement viendra non pas d'un nouveau texte, mais d'un nouveau rapport à la norme constitutionnelle. C'est à ce prix que nous pourrons enfin sortir du cycle infernal de l'instabilité politique et construire les institutions stables dont notre pays a désespérément besoin.
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