Constitutions, politique en Haïti : réformes, manœuvres pour consolider la domination.
Par: Hugue CÉLESTIN, Sociologue.

Haïti, la paupérisation se généralise, travailleurs, professionnels, hommes/femmes d'affaires et ouvriers, se retrouvent massivement au chômage, grossissant chaque jour les rangs des déshérités. Les ménages peinent à subsister, acculés par l'augmentation vertigineuse des prix des produits de première nécessité et des services. Au menu du décor, des milliers d'enfants et de jeunes, privés de nourriture, d'éducation, deviennent des proies faciles pour des gangs qui endeuillent la nation par leurs actes de barbarie.
La violence est omniprésente ; des fillettes et des femmes parfois on parle même de garçons qui sont quotidiennement violés sous les regards impuissants de leurs familles. Des milliers de personnes sont assassinées ou kidnappées, leurs proches ruinés par le paiement de rançons exorbitantes ou plongés dans le deuil lorsque les victimes sont retrouvées mortes, abandonnées sur des tas d'immondices. Leurs corps, souvent en état de décomposition avancée, servent de festin à des chiens errants ou des cochons affamés. D'autres, contraints de fuir la violence des quartiers assiégés, s'entassent dans des camps insalubres où règnent humiliation et désespoir.
Le pays sombre dans le chaos : les gangs armés étendent leur contrôle, accaparent des espaces devenus "territoires perdus". Les dirigeants inconscients encouragent, avec insouciance, l'effondrement généralisé. Les victimes s'additionnent : hommes, femmes, enfants, tous sacrifiés sur l'autel d'une gouvernance criminelle et inhumaine.
Dans ce contexte de désarroi, où la colère et la résignation se mêlent à nos sentiments d'impuissance et de frustration, surgit une initiative incongrue qui défie à la fois la logique et la morale : la "réforme constitutionnelle". Ce texte, préparé dans les officines de l'ambassade américaine sous la présidence de Jovenel Moïse, a été remanié pour répondre aux intérêts des groupes dominants. Finalement, il est remis à un collectif de bourreaux insensibles, rassemblés sous le titre pompeux de "Conseil Présidentiel de Transition".
Ces fossoyeurs, dans une démonstration saisissante d'arrogance et de mépris pour la souveraineté populaire, ont déployé un appareillage soigneusement orchestré pour matérialiser leur projet funeste. Tout semble fin prêt. Ils s'activent désormais à nous imposer une nouvelle Constitution, conçue selon les directives de leurs maîtres étrangers et locaux, avec pour objectif de restructurer profondément les rapports sociaux, politiques, économiques, culturels de notre nation.
Réforme illégitime ; crime et affront.
La Constitution haïtienne de 1987, adoptée après des décennies de dictature, dans ses articles 282 et suivants, établit un processus rigoureux et réfléchi pour tout amendement. Ces dispositions ont été conçues pour prévenir toute modification unilatérale ou autoritaire susceptible de compromettre l'équilibre des pouvoirs ou de trahir la souveraineté du peuple haïtien.
Le 3 janvier 2025, la population est stupéfaite, sous les feux des projecteurs, le président de l'infâme Groupe de Travail sur la Constitution (GTC), Jerry Tardieu, apparaît en triomphateur. Sans se gêner, il a remis officiellement le "cadeau empoisonné" au secrétariat technique du Comité de pilotage fantoche de la conférence nationale.
Le Conseil Électoral Provisoire (CEP), simple courroie de transmission du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et des puissances internationales, n'a pas tardé à s'inscrire dans cette mascarade. Dès le 12 janvier 2025, il a publié un avis de recrutement destiné à valider cette parodie de réforme. En multipliant les manœuvres administratives pour constituer des bureaux référendaires et électoraux, il participe à une dynamique où les tests d'aptitude ne sont plus qu'un prétexte servant à sélectionner les futurs acteurs des magouilles électorales et autres combines orchestrées. Quel empressement indécent ! Cet acte s'apparente à une véritable mise aux enchères de la participation citoyenne.
Réforme constitutionnelle : rupture ou continuité ?
L'histoire constitutionnelle d'Haïti est marquée par l'adoption d'une vingtaine de constitutions et de multiples tentatives de réformes, souvent motivées par des désirs de modernisation et de consolidation des institutions. Cependant, ces réformes ont échoué à résoudre les problèmes structurels du pays, à savoir la souveraineté alimentaire, la pauvreté, la corruption, l'instabilité politique, les inégalités sociales. Chaque réforme a été utilisée comme un prétexte pour renforcer le pouvoir de certains groupes politiques au détriment de la majorité du peuple.
Aujourd'hui, une nouvelle constitution nous est présentée, et ses partisans vendent au grand public l'idée qu'elle renferme des solutions magiques permettant de moderniser un État haïtien qui, malheureusement, a cessé d'exister depuis bien longtemps. Cependant, derrière ces discours enjôleurs se dissimulent des intentions moins avouables : assurer la pérennité d'un système politique qui a démontré son incapacité à répondre aux besoins de la population. En réalité, comment peut-on croire qu'une réforme constitutionnelle garantirait la démocratie, même dans sa forme libérale, dans un pays où les politiques publiques sont systématiquement entravées par des gouvernements étrangers ou des institutions internationales ?
Le projet de réforme constitutionnelle actuellement sur la table est une imposture politique qui se distingue par son caractère inédit. Des dirigeants parachutés par une Communauté internationale au rôle controversé, dépourvus de toute légitimité populaire, prétendent réécrire la Charte fondamentale du pays. Cette démarche est non seulement irrecevable, mais elle reflète également les ambitions des élites nostalgiques du "bon vieux temps" des Duvalier, ainsi que celles d'une classe politique opportuniste et déconnectée, terrifiée à l'idée d'une véritable participation citoyenne.
Comment justifier une telle entreprise, alors que ses promoteurs, qu'ils soient présents ou passés, n'ont jamais appliqué la Constitution de 1987 ni permis le fonctionnement effectif des institutions censées réguler notre vie collective ? Un exemple criant parmi tant d'autres est l'élimination de l'Institut chargé de la Réforme Agraire. Le message est clair : le peuple ne compte pas !
Le texte proposé par ces architectes de destruction nationale, concentre les pouvoirs entre les mains de l'exécutif, notamment du président. Les organes de contrôle, tels que le Parlement, la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, ainsi que le système judiciaire, sont réduits à des rôles symboliques, vidés de toute capacité réelle à contrebalancer les dérives autoritaires du monstre créé. Les mécanismes de participation populaire tels que les Assemblées, déjà fragiles, sont supprimés, affaiblissant systématiquement les lieux de contre-pouvoirs. Ce projet donne naissance à un exécutif hypertrophié, concentrant entre les mains du président des pouvoirs quasi absolus. Dans ce modèle présidentiel à outrance, le président devient une figure déifiée, un " après-Dieu" dans le paysage politique haïtien.
Propagande politique
Le Nord, devenu la destination privilégiée du monde des affaires fuyant l'enfer de l'Ouest, s'impose désormais comme la capitale de la propagande politique gouvernementale. Dès le début de la semaine, le Conseil Électoral Provisoire (CEP) a rencontré des affairistes politiques et la presse dans une campagne minutieusement orchestrée, marquée par une froideur méthodique. Des délégations soigneusement préparées sillonnent la région, vantant les mérites d’un projet protégeant uniquement les intérêts des puissants.
Ces porte-parole du désastre présentent la réforme comme un remède miracle aux maux qui rongent le pays. Pourtant, c'est une solution illusoire à des problèmes systémiques profondément enracinés. Mais, derrière ce discours se cache une véritable affaire juteuse : les per diem. Ils s'accumulent et deviennent un enjeu central de ce business politique. Ces indemnités journalières, qui profitent principalement aux acteurs politiques du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et les conseillers, aux institutions publiques autonomes d'autrefois, aujourd'hui transformées en instruments de pouvoir au service de l'exécutif, ainsi qu'aux représentants gouvernementaux, sont perçues comme une source de revenus facile.
De leur côté, certains politiciens opportunistes, maîtres dans l'art de la manipulation, incitent ouvertement les jeunes à s'inscrire comme membres des structures communales et départementales du Conseil Électoral Provisoire (CEP) pour constituer les bureaux référendaires. Ces appels, véritable opération de séduction, sont orchestrés sans aucune considération éthique, loin de toute intention de responsabiliser les jeunes ou de les intégrer dans un véritable projet national haïtien. Bien au contraire, ils se présentent comme une forme d'embauchage visant à exploiter leur précarité et leur désespoir, comme font les gangs. À court terme, cette démarche instrumentalise les jeunes pour qu'ils valident une Constitution conçue uniquement pour renforcer les privilèges des élites corrompues.
Contre les dangers de la réforme : résistance et mobilisation
L'avenir d'Haïti ne peut être confisqué par un projet conçu pour consolider les privilèges d'une élite corrompue. Ce projet cynique de réforme constitutionnelle bafoue l'émancipation collective et s'inscrit dans une dynamique visant à perpétuer un système politique autoritaire, un ordre élitiste et dépendant. La Constitution de 1987, bien qu'imparfaite, reste un socle construit sur les sacrifices des générations passées. La remplacer par une réforme imposée et déconnectée des besoins populaires reviendrait à trahir cet héritage.
Sous couvert de discours sur la modernisation et le renforcement institutionnel se dissimulent des intentions bien moins nobles : garantir la pérennité d'un pouvoir centralisé au service d'intérêts particuliers. Cette démarche constitue une tentative dangereuse de redéfinir les fondements de notre société, au mépris des valeurs d'indépendance et de justice qui ont façonné l'identité collective du peuple haïtien.
Au lieu d'investir des ressources dans une réforme qui ne ferait que renforcer un système déjà défaillant, il serait plus pertinent de concentrer les efforts sur la sécurisation du pays. Cela passe notamment par une réforme profonde des forces de sécurité et par l'implication active de la société civile dans la lutte contre la gangstérisation.
Ce projet n'est rien d'autre qu'une étape supplémentaire dans la captation du pouvoir par une minorité au détriment de la majorité. Face à ce théâtre macabre, une résistance collective et déterminée s'impose. Le peuple haïtien, ses organisations citoyennes et ses forces vives doivent s'unir pour défendre non seulement la Constitution de 1987, mais aussi l'idéal d'une Haïti libre, souveraine et juste.
L'histoire nous enseigne que les peuples qui résistent avec courage et détermination finissent toujours par triompher. Il est impératif de rejeter cette réforme et d'exiger des autorités qu'elles accordent une priorité absolue au combat contre l'insécurité et la corruption qui gangrènent particulièrement le CPT. Le mot d’ordre est clair : "Bandit : zéro tolérance!"
BIBLIOGRAPHIE
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